Les Arenberg, noblesse et jet set durant cinq siècles
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- Publié le 28-10-2018 à 11h05
- Mis à jour le 28-10-2018 à 11h09
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Deux expositions à Louvain racontent cette saga d’une des toutes grandes familles européennes. Comment ils devinrent ultra-puissants et riches et accumulèrent des fabuleuses collections d’art et de livres précieux.
La famille Arenberg a appartenu durant cinq siècles à la plus haute noblesse européenne et en particulier belge. Deux expositions à Louvain, au musée M et à la bibliothèque universitaire, racontent leur saga. Des expositions d’apparence pointues mais qui s’avèrent passionnantes et débouchent sur des oeuvres splendides.
C’est une plongée dans une famille aux liens multiples qui combattit pour les Habsbourg mais aussi, au gré de leurs alliances et mariages, pour d’autres, une « maison » qui accumula tant de domaines qu’elle était au XIXe siècle la plus riche propriétaire de terres en Belgique. Ils ont eu des châteaux partout en Europe et en Belgique, surtout à Enghien, à Bruxelles (leur palais est devenu le Palais d’Egmont) et à Heverlee qui accueille aujourd’hui les étudiants ingénieurs et architectes de la KUL.
Ils menèrent une vie royale et accumulèrent quantité de tableaux, livres précieux, tapisseries, des trésors dont quelques-uns sont présentés au musée M, prêtés par des grands musées du monde.
« Les Arenberg », portrait d’une famille, portrait d’une collection, est un voyage dans l’histoire et la jet set d’alors.
Le Duc aveugle
Le parcours commence au musée M par une salle de portraits pour faire connaissance. On se perd vite dans tous ces noms et alliances mais on comprend l’essentiel dès l’entrée, avec un grand tableau de l’atelier de Van Dijck, de 1629, montrant un portrait équestre d’Albert de Ligne, prince d’Arenberg. Ils furent du XVe au début du XXe siècle, des soldats, des généraux, qui se mirent au service essentiellement des Habsbourg et sont d’origine allemande, Arenberg étant un village dans l’Eifel.

Un autre grand tableau retient l’attention: le portrait en 1593 de Charles d’Arenberg et sa femme Anne de Croÿ, la soeur de Charles III de Croÿ, entourés de cinq de leurs douze enfants (voir ci-dessous). Il est instructif montrant l’importance des politiques matrimoniales. Les Arenberg se sont unis aux puissantes familles Croÿ, Ligne, Chimay, la Marck, etc. Une suite de mariages stratégiques qui n’ont fait qu’accroître leurs possessions. On voit d’autre part le nombre d’enfants. C’était habituel à l’époque mais c’était aussi nécessaire car les hommes de la maison d’Arenberg mouraient souvent tôt sur les champs de bataille, laissant leurs veuves seules à s’occuper de la gestion des biens et de l’éducation des enfants. Un d’Arenberg conduisit un bataillon au combat à l’âge de 15 ans à peine.
Dans cette salle, on montre les sceaux prestigieux leur accordant des titres de noblesse (ils en eurent des dizaines !). On rappelle aussi le cas surprenant du « Duc aveugle ». En 1775, lors d’une partie de chasse à Enghien, les jeunes nobles excités sautaient sur les tables et tiraient en l’air. Le jeune Duc reçut une volée de plomb près des yeux et devint aveugle. Cela ne l’empêcha pas de mener une vie quasi normale, y compris de bienfaiteur des sciences et d’amateur d’art (comment faisait-il pour collectionner?).
On montre bien d’autres portraits, tel celui d’Hedwige de Ligne, l’épouse d’Englebert d’Arenberg. Le couple était au début du XXe siècle, le premier propriétaire foncier belge et elle inspira Proust dans A la recherche du temps perdu. Elle fumait le cigare.

Le charbon de la Ruhr
S’ils n’étaient pas sur les champs de bataille, les Arenberg étaient diplomates comme le montre un tableau représentant la signature du traité de Londres en 1604 où onze hommes sont alignés autour d’une table à la Somerset House de Londres, tous en collerettes. Parmi eux, Charles d’Arenberg envoyé par les archiducs Albert et Isabelle.
Au fil des ans et des mariages, la maison Arenberg a accru ses possessions au-delà des Pays-Bas et de l’Allemagne jusqu’en France, Italie, Autriche, Bohème. La haute noblesse d’alors voyageait sans cesse de château en château, accompagnée d’une nombreuse domesticité. L’union avec les Croÿ participa à cela. On voit aux deux expositions des exemplaires des célèbres Albums de Croÿ, ces somptueux livres enluminés où à la demande de Charles de Croÿ, à la fin du XVIe siècle, étaient peints les vues et plans de toutes leurs propriétés (on compte 28 albums).
Le château d’Arenberg à Heverlee avait trois grands tableaux exprimant cette puissance et qu’on retrouve à l’exposition avec des vues soufflantes d’Amsterdam, Bruxelles et Anvers.
La richesse de la famille s’accrut encore fortement au XIXe siècle quand on découvrit sur leurs terres allemandes, dans la Ruhr, des gisements de charbon. La branche française investissant alors dans le canal de Suez.
A la bibliothèque de Louvain, on analyse plus spécialement l’histoire du château d’Heverlee et celle des autres propriétés vues sur le plan architectural.
Le Palais d’Egmont, musée
Après cette partie historique, l’exposition en arrive aux arts. Le train de vie princier et les collections d’art faisaient partie d’une politique d’affirmation de son pouvoir. Au XIXe siècle, on pouvait encore visiter dans leur château à Bruxelles, qui est aujourd’hui le Palais d’Egmont, dans le faste des marbres et ors, leurs collections de tableaux accrochés bords à bords, par centaines. Une visite qui se faisait contre paiement, c’était un musée privé ouvert au public. Les Arenberg ont aussi exploité le théâtre de la Monnaie au XVIIIe siècle, organisé des fêtes à Bruxelles et Louvain et fait construire à Enghien une luxueuse manufacture de soie grâce à un habile espionnage des ateliers chinois. On montre leurs beaux habits anciens longtemps conservés pour les fêtes.
Dans leur palais bruxellois, on exposait Rembrandt, Vermeer, Rubens, Van Dijck, etc. Des collections qui émigrèrent ensuite dans leur château de Nordkirchen en Rhénanie-Westphalie avant d’être largement vendues et de se retrouver souvent dans les musées américains.
Le musée M a pu ramener dans plusieurs salles des indices de cette richesse de jadis, comme la grande tapisserie Gloria immortalis prêtée par le Metropolitan de New York et provenant de la maison de la Marck alliée par mariage aux Arenberg.

Véronèse
On admire aussi deux grands tableaux de Véronèse de la collection de Charles de Croÿ qui furent vendus ensuite au duc de Buckingham. On peut encore voir une dernière Cène de Dirk Bouts, un portrait de femme par Rubens, un beau Frans Floris (le réveil des arts ; voir ci-dessous), etc.
Les Arenberg étaient des collectionneurs compulsifs, les François Pinault de jadis. On montre des objects de l’Antiquité, de l’Egypte ancienne et surtout des livres et manuscrits précieux, comme un rouleau médiéval de plus de 2 m racontant l’histoire de la première croisade, ou le manuscrit d’une partition originale de Vivaldi (leur bibliothèque comptait 1500 partitions), ou encore un album du XVIe siècle avec 200 gravures de Dürer.
Le nom Arenberg devint même dit-on une marque en art. Comme ce grand tableau de Jordaens des collections du Liechtenstein surnommé « Le tableau d’Arenberg ».
L’exposition se clôture avec une grande cocha (courtepointe en portugais), sorte de couvre-lit somptueusement brodé.
L’expo à la bibliothèque complète le parcours en montrant entre autres, la vie au château d’Heverlee où travaillaient une petite centaine de domestiques et où s’organisaient des fêtes populaires. Le château fut légué à l’université de Louvain juste avant la guerre de 14 qui mettait les Arenberg, des Allemands, dans l’embarras.
Aujourd’hui, le duc Léopold d’Arenberg habite en Suisse mais a grandement contribué à ces expositions.

« Le pouvoir et la beauté, les Arenberg », au musée M et à la bibliothèque universitaire, à Louvain, jusqu’à 20 janvier.