Les grands drapés bouleversants de Berlinde De Bruyckere
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Publié le 11-12-2018 à 10h36 - Mis à jour le 11-12-2018 à 10h37
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L’artiste gantoise présente à Malines ses nouvelles oeuvres en écho avec les merveilleux « jardins clos ».
Berlinde De Bruyckere, née à Gand en 1964, avait enthousiasmé avec sa grande exposition au Smak à Gand en 2014. On y revoyait l’oeuvre montrée à Venise: un corps métamorphosé en arbre dont la peau rugueuse, l’écorce, était de la cire peinte souvent de rouge, parfois de vert et de bleu.
Ses oeuvres ne laissent personne indifférent tant elles sont puissantes, parfois éprouvantes quand elles montrent la vulnérabilité, la fragilité et la solitude des hommes, mêlés à une douceur surprenante.
L’exposition magnifique qui s’ouvre vendredi au musée Hof Van Busleyden à Malines est à nouveau un choc, elle confronte des oeuvres neuves aux « jardins clos » du musée, son trésor.
Berlinde les avait découvert à l’exposition sur l’utopie au musée M de Louvain en 2016. Ces retables venaient du couvent des Augustines à Malines où des restaurateurs avaient mis 14 mois à les restaurer. A Malines, on peut découvrir les six retables avec, sur les panneaux, des peintures pieuses et, au centre, comme dans une grande boîte que les portes peuvent refermer, une évocation des jardins clos par une barrière. Une image des paradis où les religieuses pouvaient espérer vivre une relation amoureuse avec Jésus. Des jardins qui sont des pèlerinages spirituels. Il y a dedans des figures de bois polychromes (Christ en croix, Anne portant la Vierge portant Jésus, Vierge à la licorne, etc.), mais aussi des centaines de fleurs en fer, parchemin et fils de soie, des reliques diverses (os, terres, bois, sable ramené de pèlerinages), des peintures sur papiers pressés, etc. Un travail incroyable destiné aux seuls Augustines et qui a échappé miraculeusement à la vague iconoclaste car ils étaient placés dans un lieu d’accueil pour pestiférés. Détailler ces autels portatifs, entre grand art et art des ex-votos est un rare plaisir.
Fleurs de lys
Dans une scénographie qui fait de chaque salle un lieu intime de confrontation, on découvre face à face ces jardins clos et de grandes oeuvres de Berlinde, de 3,5 m de haut, avec des drapés de couvertures usées et effilochées, de plomb, de cire et de fer sur un fond de papier peint ancien qu’elle a détaché des murs de sa maison gantoise. Elle entoure ses retables de planches de chêne du XVIIIe siècle reprises à son atelier.

Si on les observe bien, ce sont des fleurs de lys, parfois des pivoines, fanées inversées, fortement agrandies, avec le symbolisme du lys, les pétales comme une peau, les étamines et pistils. Dans le beau livre de l’expo on voit les photographies qu’elle a faite des lys à toute les phases de leur vie.
Pour obtenir ces tissus troués et usés, elle a placé pendant des mois des couvertures et linges dans la cour de sa maison, exposés aux intempéries. Il y a vingt ans, elle utilisait des couvertures comme symbole de douceur et de soin. Aujourd’hui, effrayée par l’état du monde, la couverture n’est plus qu’une ruine incapable de donner de la chaleur. La représentation de l’homme a d’ailleurs disparu pour montrer des paysages complexes de méditation.
Elle montre aussi les deux oeuvres qu’elle avait créées pour Manifesta à Palerme en juin dans la Chiesa di Santa Venera. Elle a accroché sur des panneaux de bois des couvertures usées mêlées à des écoulements de cire, formant une sculpture du manteau de Saint François d’Assise comme le peignait Zurbaran ou le rappel des couvertures distribuées aux migrants aujourd’hui.
La salle finale montre dans une grande vitrine un « jardin clos » démonté avant restauration et, en face, sur une table « Infinitum » oeuvre ancienne sur le corps éclaté.
« Mes sculptures parlent tout autant du désir que de la souffrance. Je mêle toujours Eros et Thanatos. Il y a toujours quelque chose de beau et de doux qui vient s’ajouter à ce qui paraît dur. Jan Hoet le disait déjà : « L’art parle de vie et de mort. S’il n’est pas question de cela, c’est de la décoration ». Toute son oeuvre est un hommage à la beauté secrète qui se cache dans les arbres, dans les fleurs que son grand-père bouturait avec amour. Aux métamorphoses de la vie. Une beauté souffrante mais apaisante, qui rappelle les limites de l’homme dans ses tentatives désespérées de se détacher de son destin charnel et mortel.
It almost seemed a lily, Berlinde De Bruyckere, museum Hof Van Buysleyden, Malines, jusqu’au 12 mai