Les contes cruels de Paula Rego: la révélation de cette fin d'année
L’oeuvre puissante de Paula Rego à l’Orangerie, fortement figurative, pleine du monde chaotique de l’enfance.
Publié le 15-12-2018 à 08h52
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L’oeuvre puissante de Paula Rego à l’Orangerie, fortement figurative, pleine du monde chaotique de l’enfance.
Peu de visiteurs de la rétrospective Paula Rego au musée de l’Orangerie connaissaient déjà l’oeuvre de cette grande peintre née au Portugal en 1935, mais installée définitivement à Londres depuis 1976. Elle figurait en bonne place à côté de Lucian Freud et Francis Bacon à la récente exposition All to Human à la Tate Britain.
La découvrir aujourd’hui, est un plaisir magnifique. On y plonge d’emblée dans son univers avec des poupées qu’elle a cousues, des marionnettes et des animaux empaillés issus de son atelier et qu’on retrouve dans ses tableaux.
Sa première série de peintures porte sur les jeux d’enfants. Des petites filles à la monumentalité saisissante, occupant toute la toile, aux dessins puissants rappelant Picasso ou Piero della Francesca, jouent avec un chien ou s’apprêtent à commettre une bêtise. On est chez la Contesse de Ségur et dans les fantasmes chers aux psychanalystes.
L’exposition a la bonne idée de confronter les beaux dessins de Paula Rego à ceux des Caprices de Goya, comme à ceux de Gustave Doré, de Granville et de Redon. Paul Rego plonge dans les zones troubles de la vie, de l’inconscient et des souvenirs. Avec férocité mais aussi avec une immense tendresse.

Danse la nuit
Peu après la mort prématurée de son mari en 1988, elle peint le grand tableau La danse où huit personnages dansent la nuit sur le bord d’une falaise à la seule lumière de la pleine lune. Parmi les danseurs, une femme seule et mélancolique est Paula Rego elle-même devenue veuve. Un tableau à rapprocher directement des gravures de Goya.
Féministe affirmée qui se battit avec ses oeuvres pour la dépénalisation de l’avortement au Portugal, elle montre des femmes ambigües, fortes et cruelles, victimes et manipulatrices, héroïques et triviales. Dans La Famille, des femmes d’âges différents habillent un homme réduit à l’état de pantin. Dans Les bonnes (1987), elle donne sa version du livre de Jean Genet où deux femmes tuent leurs maîtres. Dans l’étrange Fille du policier, on voit une jeune femme, la nuit avec un chat noir, cirer un botte noire, scène très fétichiste.
Paula Rego s’empare des grands contes comme celui de Pinocchio. L’exposition confronte sa version du conte avec la sculpture hyper réaliste qu’en a faite le sculpteur Ron Mueck, le gendre de Paula Rego. On montre aussi le lien avec Louise Bourgeois comme on aurait pu montrer celui avec Annette Messager.
A partir de 1994, Paula Rego abandonne l’acrylique pour faire désormais des grands pastels à l’image de Degas. Ce sont d’abord des tableaux de femmes-chiens, allégories, pour elle, de la condition féminine et humaine: soumission, dépendance, affection, agressivité. Reprenant le thème de Fantasia de Walt Disney, elle transforme aussi les femmes en danseuses massives et inquiétantes.
Ses derniers triptyques sont des fresques impressionnantes venant directement toucher notre inconscient. Dans Fisherman triptych, elle se met en scène, assise, les yeux fermés, serrée contre un grand personnage comme une poupée un peu inquiétante, le Pillowman (l’homme-oreiller) qui symbolise son père.
Nourrie de nombreuses lectures, elle donne aussi sa version féministe du Chef d’oeuvre inconnu de Balzac. Un dernier tableau qui est une allégorie de la puissance de la peinture.
La maîtrise technique formidable dont témoigne Paula Rego a toujours la force de nous renvoyer sans cesse à la vie elle-même.
>>> Les contes cruels de Paula Rego, Musée de l’Orangerie, Paris, jusqu’au 14 janvier

