La splendeur van Orley, quand Bruxelles fut le centre du monde
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- Publié le 20-02-2019 à 09h19
- Mis à jour le 20-02-2019 à 12h35
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A Bozar, magnifique exposition sur le peintre Bernard van Orley (1488-1541) qui, sous Charles-Quint, fit entrer l’art flamand dans la Renaissance.
Avec ses grands triptyques, ses Vierges émouvantes, ses portraits célèbres et surtout, ses immenses et splendides tapisseries venues des plus grands musées.
C’est au milieu du parcours de l’exposition sur Bernard van Orley, à Bozar, qu’on comprend vraiment toute l’importance de cet artiste et la place que Bruxelles occupait alors. Elle était non seulement la capitale de Charles-Quint, mais celle du monde entier.
On y expose deux énormes tapisseries dessinées par van Orley et venues du Louvre, avec Charles-Quint à cheval chassant aux abords de Bruxelles dans ce qui est aujourd’hui le parc royal avec, à l’arrière, Sainte Gudule, l’Hôtel de ville et l’immense Palais du Coudenberg disparu depuis. Charles-Quint était au sommet de sa puissance et régnait sur le monde, l’or des trésors aztèques arrivait à flots des Amériques.
En face, une autre tapisserie, très colorée, représente la bataille de Pavie en 1525 quand Charles-Quint y battit son seul rival, François Ier, Roi de France, et l’enferma à Madrid.
Au milieu de cette salle, on admire les dessins préparatoires au crayon et lavis, des merveilles.

On a oublié l’art de la tapisserie relégué au XIXe siècle au rayon des arts décoratifs alors que c’était un art majeur. En ce début du XVIe siècle, la tapisserie était florissante à Bruxelles qui comptait les meilleurs artisans et était la capitale incontestée de cet art. L’ambassadeur de Cosme de Médicis à Bruxelles rapportait que 15000 personnes à Bruxelles, un tiers de sa population, étaient liés d’une manière ou de l’autre à la production et à la vente des tapisseries.
Van Orley fut ensuite, peu à peu, oublié. Jusqu’en 1982, on pouvait encore chaque jour admirer l'autoportrait de van Orley qui ornait le billet de 500 francs. Mais ce fut presque son chant du cygne de n’être plus que cela.
Expo événement
Il était temps de lui consacrer une grande exposition d’autant plus que ces derniers années, ses élève majeurs, Michiel Coxcie et Pieter Coecke van Aelst, ont, eux, bénéficié d’expositions au musée M de Louvain est au Metropolitan de New York.
C’est donc une exposition événement et difficile à monter car il s’agissait de rassembler des fragiles peintures sur bois et d’immenses tapisseries des plus grands musées du monde.
C’est le fruit d’une riche collaboration entre les musées fédéraux avec deux commissaires: Véronique Bücken du musée des Beaux-Arts et Ingrid De Meûter du Cinquantenaire. De plus, elle est présentée à Bozar.
Redécouvrir Bernard Van Orley c’est aussi suivre l’évolution d’un artiste qui fit le lien entre les primitifs flamands dont il fut nourri et la Renaissance qu’il apporta à l’art flamand. Jan Van Eyck a vécu de 1390 à 1441, Bernard Van Orley, de 1488 à 1541, Bruegel ensuite de 1525 à 1569 et Rubens, de 1577 à 1640.
Bernard van Orley est né à Bruxelles vers 1488. Il y résida toute sa vie et ne voyagea pas mais le monde venait alors à Bruxelles.
Il fut formé par son père, peintre aussi, et il constitua peu à peu un très grand atelier pour répondre aux nombreuses commandes de la cour, des églises et des riches bourgeois.
Au début de sa carrière, il réalisa beaucoup de tableaux religieux avec des scènes bibliques traitées avec talent mais encore à la manière des primitifs flamands : un certain hiératisme, peu de perspective, plusieurs épisodes d’un même récit sur un seul tableau. A côté de beaux tableaux, on découvre une grande tapisserie de la procession de Notre Dame du Sablon, l'ancêtre de l’Ommegang actuel.
Dürer et Raphaël
Il fut choisi en 1518 par Marguerite d’Autriche pour peindre des portraits, des tableaux de dévotion et des tapisseries. C’est lui qui peignit le très célèbre Portrait de Marguerite d’Autriche du musée des Beaux-Arts où le visage de la gouvernante des Pays-Bas pour le compte de Charles-Quint, disparaît quasi entièrement sous une coiffe très stricte et enveloppante.

C’est dans ce cadre qu’il fit deux rencontres décisives. Avec Albrecht Dürer chez qui il apprit l’expressivité des visages et des mouvements et avec Raphaël dont il put admirer les grands cartons envoyés par le Pape à Bruxelles pour y tisser les tapisseries qui orneront ses appartements à Rome. Il y vit la place de l’architecture, l’audace des perspectives, la monumentalité des corps. Il s’adapta vite et avec succès, au style nouveau de la Renaissance.
On le voit dans les années 1520 avec les oeuvres dites de dévotion achetées par les particuliers: Sainte Famille, Vierge à l’enfant, Scènes de la Passion.
Dans la Sainte Famille du Louvre, on voit le visage buriné de Joseph, typiquement inspiré de Dürer, et à côté la beauté douce de la Vierge typique de la Renaissance italienne comme l’est l’importance du décor architectural. Venue du Prado, on admire l’infinie douceur de la Vierge à l’enfant (Madone de Louvain) assise au milieu d’un impressionnant décor architectural maniéré. Il faut s’arrêter à la si tendre Vierge à l’enfant dans un paysage de la National Gallery de Londres.
Bernard van Orley peignit aussi de grands triptyques pour les églises comme le superbe triptyque Haneton et celui de Job et de Lazare, joyau de notre musée des Beaux-Arts où le peintre a choisi le moment, quand, pour tester la foi de Job, le diable fait s’effondrer tout le bâtiment et il saisit les protagonistes dans des mouvements affolés, très expressifs, dans des perspectives audacieuses.
A côté, il continue les tapisseries comme La déploration du Christ mort de la National Gallery de Washington avec un formidable contour de fleurs et de putti (anges). Plusieurs de ces tapisseries venues du Metropolitan et de Madrid sont tissées de fils d’or.
Il faut alors s’arrêter longuement à la grande salle au milieu du parcours pour détailler les tapisseries et les nombreux dessins préparatoires conservés en général au Louvre.
Portraits d’humanistes
Après ce morceau de bravoure, l’exposition s’arrête à Bernard van Orley, portraitiste de la Cour dans la même veine qu’un Holbein, son contemporain. Van Orley fit un portrait du jeune Charles-Quint au visage allongé qui devint le modèle des portraits suivants. Il représenta aussi ses amis comme Georges de Zelle alors âgé de 28 ans, médecin et érudit, un humaniste (van Orley fut un temps emprisonné pour avoir organisé chez lui des sermons luthériens). Admirez aussi le Portrait d’un jeune homme inconnu du Kunstmuseum de Vienne, à l’attitude si noble et à la somptueuse fourrure et la figure d’un secrétaire de Charles Quint, symbole de l’intellectuel.
L’exposition évoque encore, mais forcément sans pouvoir le montrer, son art du vitrail. Van Orley en dessinait comme il dessinait les cartons de tapisseries, pour les plus grands commanditaires. On peut toujours admirer ses vitraux à la cathédrale Saints Michel et Gudule à Bruxelles.
Bernard van Orley dirigeait un grand atelier. On montre à la fin du parcours comment les oeuvres issues de cet atelier n’ont pas la qualité de celles de van Orley lui-même, même si sont passés par là de grands peintres comme Michiel Coxcie et Pieter Coecke van Aelst ou un artiste qui n’est plus connu que sous le nom de Maître de Saint Michel et dont on peut admirer un triptyque impressionnant.
Cette très belle expo qui vous réconciliera -si nécessaire- avec l’art de la tapisserie, se prolonge au Cinquantenaire qui montre une autre série de tapisseries et par un joli guide édité par Bruxelles patrimoine et urbanisme qui propose de marcher dans la ville sur les traces de Bernard van Orley, depuis la place Saint Géry où le peintre est né jusqu’au parc de Bruxelles, en passant par l’église de la Chapelle, le Sablon ou la cathédrale. Chaque fois, on peut y revivre un peu du Bruxelles glorieux de l’époque de van Orley.
Pour cette expo, le passage souterrain entre Bozar et ce qui reste du Palais de Coudenberg sous la place royale, sera régulièrement rouvert.
Signalons aussi que dans le guide du visiteur, on peut lire comment quatre écrivains voient des oeuvres de van Orley . On vous recommande la description de Marguerite d’Autriche par Myriam Leroy et le texte de Jeroen Olyslaegers.
Bernard van Orley, à Bozar, à Bruxelles, jusqu’au 26 mai