La réflexion d’Alex Majoli sur l’authenticité photographique aux dépens d’une réalité parfois tragique
Affranchi des règles académiques et par la suite des matériaux et supports jadis si rassurants, l’art passe beaucoup de temps à s’interroger sur ce qu’il est. Il en va de même pour la photographie et plus particulièrement pour la photographie documentaire qui, depuis qu’elle a perdu de sa superbe dans la presse illustrée, interroge sans discontinuer ce rapport au réel qui lui est spécifique. Le Bal à Paris présente, en ce moment, un travail récent d’Alex Majoli qui pousse assez loin cette réflexion.
Publié le 06-03-2019 à 11h52
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Affranchi des règles académiques et par la suite des matériaux et supports jadis si rassurants, l’art passe beaucoup de temps à s’interroger sur ce qu’il est. Il en va de même pour la photographie et plus particulièrement pour la photographie documentaire qui, depuis qu’elle a perdu de sa superbe dans la presse illustrée, interroge sans discontinuer ce rapport au réel qui lui est spécifique. Le Bal à Paris présente, en ce moment, un travail récent d’Alex Majoli qui pousse assez loin cette réflexion.
Lumière
En exergue à cette exposition intitulée", un dialogue de Six personnages en quête d’auteur de Luigi Pirandello pointe d’emblée la question centrale de l’authenticité des images photographiques : "C’est de la fiction ! De la fiction ! Ne croyez pas cela - Fiction ! Réalité ! Allez au diable, tous autant que vous êtes ! Lumière ! Lumière ! Lumière !"
Et de la lumière, pour le coup, il y en a peu dans les photographies de Majoli. Ou trop, c’est selon. En fait, avec son assistant, le photographe de Magnum parcourt le monde à la recherche d’événements - dramatiques ou pas - qu’il photographie avec un flash bien plus puissant que la lumière ambiante. Tout ce que l’on voit semble dès lors se dérouler dans une longue nuit américaine. Au-delà de cet éclairage cinématographique, Majoli théâtralise la réalité en s’y invitant de manière flagrante. "Ses photographies sont le résultat d’une action performée" commente David Campany dans son introduction. Et d’ajouter : "La représentation du spectacle et le spectacle de la représentation finissent pas ne faire qu’un."
Au Bal, le public se retrouve devant des séries de grands tirages juxtaposés qui lui montrent parfois des moments paisibles de la vie des gens, mais l’immergent aussi dans des instants dramatiques.
La scénographie est superbe, néanmoins après avoir regardé cet ensemble indifférencié de situations, on en vient à se demander si le photographe de Magnum ne nous ressert pas le scénario de la photographie humaniste. Avec ce que lui reprochait Roland Barthes il y a déjà 60 ans, à savoir une généralisation du propos - la condition humaine - sous un vernis esthétique qui efface toute hiérarchie morale. Dans son essai Devant la douleur des autres (2003) Susan Sontag ne s’était pas privée de stigmatiser des intellectuels comme Baudrillard qui ne voyaient la réalité que comme un vaste spectacle du fait de sa médiatisation. Elle les traitait de "provinciaux" en leur rappelant qu’au départ de toute image de souffrance, il y a de la souffrance. Ici, devant la photo d’un père immigrant débarquant sur l’île de Lesbos avec son enfant terrorisé dans les bras, on ne peut s’empêcher d’imaginer la scène "performée" du photographe s’affairant avec tout son appareillage. À coup sûr, ce moment-là n’a pas été une fiction, mais une réalité bien crue.

Scene d’Alex Majoli Photographie Où Le Bal, 6, Impasse de la Défense, Paris. www.le-bal.fr Quand Jusqu’au 28 avril, le mercredi de 12h à 22h et du jeudi au dimanche, de 12 h à 19h.