Marie-Jo Lafontaine, prélude à Van Orley à Bruxelles
Avec ses "Troubled Waters", elle occupe le grand Hall Horta du Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles.
Publié le 07-03-2019 à 08h56 - Mis à jour le 07-03-2019 à 08h57
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Avec ses "Troubled Waters", elle occupe le grand Hall Horta du Palais des Beaux-Arts, à Bruxelles. Que penser des expositions muséales qui, de plus en plus souvent, associent maîtres anciens et actuels sans autre raison récurrente que d’attirer de pair des publics différents ?
Nous avons déjà dit ici combien nous trouvions de tels rapprochements illusoires et souvent gratuits. Nous nous souvenons d’une mise en complicité, en ce même Bozar, entre Morandi et Luc Tuymans, aussi inadéquate que présomptueuse !
Ce qui n’enlève pourtant pas à de telles présumées accointances certaines bonnes résonances. Ce fut le cas, il y a peu, à Malines, quand Berlinde De Bruyckere et ses immenses retables façonnés de résidus de nos vies actuelles s’immisçaient parmi les retables médiévaux, précis et finement organisés, des moniales du XVIe siècle.
Que peuvent se dire d’évocateur les retables du Renaissant Bernard Van Orley et ceux que Marie-Jo Lafontaine réalise avec une science exacte de la mise en lumière de nos questionnements très actuels ? À notre avis, pas grand-chose !
Troubled Waters
Ceci n’enlève rien à une réalisation qui, en ses diverses particularités, a de quoi ameuter autant le chaland que l’amateur et Marie-Jo Lafontaine ne peut, au fond d’elle et là seulement, qu’apprécier cette mise en apnée qui la convoque - de loin malgré tout - en sorte de mise en bouche pour le plat principal, indiscutable, une rétrospective inédite de Van Orley accompagné de ses registres religieux.
Marie-Jo Lafontaine s’érige à l’avant-garde du plat principal et s’afficher dans le vaste Hall Horta n’est pas donné à tout le monde. Juste fierté en bandoulière, elle y a accroché, sur le mur de droite en entrant, entre les colonnades, un triptyque de sa série de photographies titrées Troubled Waters.
Réalisées en 2013, ces immenses formats en noir et blanc mettent en scène une danseuse japonaise qui étire son corps nu dans une lumière propice aux éblouissements.
Comme l’artiste Lafontaine l’a très bien dit en présentant son ouvrage : "J’ai immédiatement voulu faire une installation qui reprenne mes propres repères, la photographie, la monochromie et le texte."
Au centre, il y a les trois photos et la danseuse nipponne qui évolue de face et de profils. Le tout posé sur et encadré d’un fond monochrome orange. Avec, sur chacun des côtés, une citation de Franz Kafka, en français à gauche, en anglais à droite.
Kafka en pôle position
L’écrivain tchèque joint en quelque sorte l’utile à l’agréable quand il écrit : "Debout sur la plate-forme du tramway, je suis dans une totale incertitude quant à ma situation, ma place, dans ce monde !"
Et voilà qui ameute nos consciences. Pour peu que vous vous soyez déjà retrouvé dans un tramway bondé circulant cahin-caha dans un Bruxelles livré aux pioches et détournements de voiries, la question susdite a forcément accaparé vos réflexions.
Et Marie-Jo Lafontaine de préciser : "Cette citation de Kafka correspond à cette perception d’être aujourd’hui dans un monde trouble, un monde parcouru de turbulences et de questionnements où chacun, peut-être, a du mal à trouver sa place dans un futur dont les défis à relever sont colossaux et dont les conséquences sont incertaines."
Elle confiait aussi combien ces photographies de Nu en suspension, en apesanteur, évoquent à ses yeux le nu dans l’histoire de l’art, des peintures de Botticelli aux gravures de Dürer, des peintures du Gréco à Courbet, de Duchamp à Gerhard Richter, on en passe.
Au vu du rayonnement dans l’espace et de la qualité formelle de pareilles photos aux blancs et noirs, aux lumières, à la présence, d’une surprenante beauté, on regrettera qu’elles se retrouvent dans un Hall trop souvent dévoyé spatialement par le jeu intermittent d’autres projets qui s’y affairent et contraignent l’ambiance née des photographies à n’être que "de passage".
C’est dire aussi qu’une artiste aussi représentative de la créativité belge du dernier demi-siècle est tout indiquée pour s’éclater en grand à travers les espaces du Palais des Beaux-Arts. Elle n’a pas à servir d’antichambre. Elle y mérite son exposition rétrospective !

Marie-Jo Lafontaine Art contemporain Où Bozar, 23, rue Ravenstein, 1 000 Bruxelles. Infos : 02.507.82.00 et www.bozar.be Quand Jusqu’au 26 mai, du mardi au dimanche, de 10 à 18h ; le jeudi jusqu’à 21h. Entrée gratuite.