Révélation: Londres a joué un rôle capital chez Van Gogh
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Publié le 26-03-2019 à 12h35 - Mis à jour le 26-03-2019 à 12h36
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La Tate Britain évoque l’influence qu’eut son séjour londonien sur l’art ultérieur de Van Gogh.
Une exposition riche de plus de 50 oeuvres de Van Gogh et qui continue par l’influence de celui-ci sur les artistes anglais, dont Francis Bacon.
En annonçant un grande exposition Van Gogh et la Grande-Bretagne, la Tate Britain suscitait un certain scepticisme : quel lien peut-il y avoir ? Chacun sait que c’est en France, et surtout au soleil du Sud que Van Gogh (1853-1890) est devenu un génie et pas dans les brouillards de la Tamise. Cette annonce était-elle un simple coup de marketing ?
A visiter l’exposition, on constate que ces craintes sont vaines, elle est remarquable et ne trompe pas le public. On y voit d’abord plus de 50 oeuvres de Van Gogh dont des oeuvres rarement montrées et d’autres qui sont parmi ses chefs-d’oeuvres les plus connus: comme La nuit étoilée du Musée d’Orsay, l’Autoportrait de Washington, L’Arlésienne venue de Sao Paulo, Les prisonniers prêtés par le musée Pouchkine, le portrait d’Augustine Roulin, Les Tournesols, etc.
Mais son intérêt est surtout d’être une réflexion sur comment on devient un immense artiste. Disons d’emblée que Van Gogh n’a rien peint durant ses trois années en Grande-Bretagne. Il est devenu artiste, peu à peu, à partir de son séjour au Borinage en Belgique quand il y fut envoyé comme pasteur évangéliste de 1878 à 1880. Ce début comme peintre et dessinateur fut d’ailleurs l’objet de la passionnante exposition montrée à Mons en ouverture de Mons 2015.
Amour déçu
La Tate Britain remonte plus avant dans la vie de Van Gogh. En 1873, il a vingt ans et est engagé par le marchand d’art Goupil et Cie qui l’envoie dans sa succursale de Londres, près de Covent Garden. Au début du moins, ce fut de son propre aveu « la période la plus heureuse de ma vie ». « Je marche le plus possible, écrit-il à son frère Théo, ici, c’est absolument magnifique ». Il évoque les parcs « charmants » et visite les musées londoniens. En 1874, il persiste: « Tout va bien pour moi. J’ai une magnifique habitation et c’est un grand plaisir d’observer Londres et de voir vivre les Anglais. J’ai aussi la nature, l’art et la poésie. Si ça n’est pas suffisant, alors c’est quoi?"
Mais bientôt les choses deviendront moins agréables. Peu doué pour la vente, il est licencié par Goupil et il connaît une histoire d’amour contrarié. Il s’était épris d’Eugénie Loyer, la fille de sa logeuse, mais celle-ci lui avoue peu après qu’elle est déjà secrètement fiancée au locataire précédent. On vient de retrouver en 2019, sous le plancher de la maison londonienne de Van Gogh, des documents liés à cette idylle.
Ces épisodes déprimants se conjuguent à ses lectures de Charles Dickens et à la découverte de la pauvreté de Londres. Il veut alors devenir prêcheur méthodiste. Il reviendra alors sur le Continent et sera envoyé en mission évangélique au Borinage.

Prisonnier !
Que reste-t-il dans l’oeuvre de Van Gogh de ses années de jeunesse, essentielles chez chacun ?
L’exposition montre des liens possibles, souvent convaincants, parfois plus ténus.
D’emblée l’expo montrer un Van Gogh bibliophile, passionné de littérature anglo-saxonne. Le magnifique tableau L’Arlésienne (1890), portrait de Madame Ginoux qui tenait le café d’Arles, la montre avec deux livres aux titres en anglais: les Christmas Tales de Dickens et La case de l’oncle Tom.
Van Gogh évoque dans ses lettres son admiration pour les livres de Dickens, George Eliot ou Charlotte Bronte, qu’il lisait en anglais. Il a expliqué que son oeuvre était une manière aussi de rendre visible la vie quotidienne évoquée par Dickens.
Le noeud central de l’expo, ce sont les gravures que Van Gogh collectionna à Londres. Plus de 2000, dont beaucoup tirées des journaux et dont celles que fit Gustave Doré en visitant la capitale anglaise. Des gravures qui montrent la société réelle, ses réfugiés, ses miséreux. Ce sont des images qui le hanteront toute sa vie.
On le voit dans son célèbre tableau La cour de la prison peint en 1890 l’année de sa mort, quand il était à l’hôpital psychiatrique de Saint-Remy de Provence. Il se voyait comme un de ces prisonniers tournant en rond dans un espace clos. Un des prisonniers porte d’ailleurs la barbe rousse de Van Gogh qui s’y est sans doute représenté. Or ce tableau est directement inspiré d’une gravure identique que Gustave Doré fit à Londres. C’est le seul tableau de Van Gogh évoquant directement Londres. Il avait demandé à son frère de lui envoyer à l’hôpital ces gravures de prisons: « L’hôpital m’écrase comme une prison », avait-il écrit.

Ciel étoilé
On voit aussi l’influence directe de ces gravures anglaises sur des scènes dramatiques: le vieil homme assis, plongé dans son chagrin ou la femme pauvre, peints certes en 1890, 15 ans plus tard, dans un tout autre style, mais indubitablement liés à ces images.
La chaise vide est un thème que Van Gogh reprit deux fois après sa séparation avec Gauguin, dont une chaise portant une bougie allumée. Exactement comme dans des illustrations de Dickens.
Si bien sûr, Van Gogh devint peintre en France, ses idées sociales, son intérêt pour les marginaux, sa manière de construire une image, seraient donc nés à Londres. L’expo le montre en homme cultivé et non plus comme un artiste torturé comme on l’a souvent présenté jadis.
D’autre liens sont faits, plus discutables. Van Gogh a souvent peint des allées d’arbres. A-t-il été influencé par les grands tableaux d’Hobbema et de Millais qu’il a vus à Londres? Sa célèbre Nuit étoilée montre le ciel au-dessus du Rhône à Arles en 1888. L’expo suggère un lien avec une gravure de Gustave Doré que Van Gogh connaissait, sur un ciel étoilé semblable, mais au-dessus de la Tamise.
Une exposition qui est une manière neuve et stimulante de voir Van Gogh et son oeuvre.
« Van Gogh et la Grande-Bretagne », à la Tate Britain, jusqu’au 11 août. Avec Eurostar on est àLondres en deux heures. On reçoit une seconde entrée gratuite à l’expo sur présentation du billet Eurostar.
L’héritage de Van Gogh sur Bacon
Si la première partie de l’exposition montre l’influence de Londres et des artistes anglais sur Van Gogh, la seconde partie fait l’inverse: comment Van Gogh a influencé la peinture anglaise du XXe siècle.
Il a fallu près de 30 ans pour que Van Gogh arrive vraiment, en 1920, en Grande-Bretagne, avec l’exposition Manet et les post-impressionnistes. Mais ce fut alors l’enthousiasme, alimenté par les articles, livres et films sur la vie tourmentée de Van Gogh, héros romantique par excellence. Au lendemain de la guerre 40-45, en 1947, eut lieu la dernière grande exposition Van Gogh à la Tate, un record d’affluence, où la Reine se rendit. La presse expliqua qu’on y retrouvait les queues qu’on avait connues pendant la guerre devant les magasins !
On voit comment l’art de Van Gogh, sa touche, ses couleurs, influencèrent directement les artistes. Ses Tournesols au jeune éclatant ont fait plein d’émules dont les oeuvres sont accrochées aux murs de la Tate. Le peintre Harold Gilman s’exclamait chaque fois avant de peindre, comme on récite un mantra: « A toi, Van Gogh! ».

Quand en 1920, le peintre William Nicholson reçoit la commande d’un portrait de Gertrude Jekyll et que celle-ci refuse d’arrêter son travail d’écrivaine et de créatrice de jardins pour poser pour lui, il choisit de peindre seulement ses chaussures pleines de boue, exactement comme Van Gogh le fit en 1886. L’expo montre ces deux tableaux côte à côte.
Le point d’orgue de cette deuxième partie, ce sont les trois grands tableaux de Francis Bacon, de 1957, qui sont autant d’Etudes par un portrait de Van Gogh. Bacon a découvert chez Van Gogh, l’importance de montrer la peinture en elle-même, l’intensité des touches. La Tate aurait pu ajouter l’influence qu’eut Van Gogh sur David Hockney, mais celle-là est le sujet d’une très belle exposition au musée Van Gogh d’Amsterdam.