L’art actuel s’inspire de Bruegel, et c’est la fête pour nous
La passionnante expo au château de Gaasbeek montre comment l’art actuel reprend les thèmes de Bruegel.
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Publié le 06-04-2019 à 08h44 - Mis à jour le 06-04-2019 à 08h47
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La passionnante expo au château de Gaasbeek montre comment l’art actuel reprend les thèmes de Bruegel.
Avec La fête des fous. Bruegel redécouvert, sa grande exposition qui envahit toutes ses pièces, le château de Gaasbeek participe aux festivités pour les 450 ans de la mort du peintre. Mais attention, il n’y a pas un seul Bruegel à voir et pourtant tout tourne autour de son héritage et c’est passionnant.
Dans les pièces labyrinthiques du château de la marquise, on trouve deux types d’oeuvres, deux belles expositions, une d’Art moderne, l’autre d’Art contemporain. Côté Art moderne, la filiation est évidente avec Ensor qui reçoit à Gaasbeek toute une salle et qui essaime dans le château avec ses tableaux et gravures. Ses bals de squelettes rappellent le triomphe de la mort de Bruegel. Mais on retrouve aussi l’héritage du Bruegel des moissons dans une belle salle avec Gustave Van de Woestyne, Fritz Van den Berghe et le Wallon Anto-Carte. Ils célèbrent les gestes du faucheur et ont des « trognes » à la Bruegel.
Ne ratez pas la salle magnifique des paysages d’hiver sous la neige (Bruegel en fut l’inventeur), avec les tableaux de Valerius de Saedeleer, Brusselmans et Malfait. On retrouve tout autant l’héritage de Bruegel chez les Allemands Groz et Dix et le photographe August Sander.

La partie contemporaine qui se déploie tout au long du parcours a été imaginée par Luk Lambrecht et Lieze Eneman du très dynamique centre culturel d’art contemporain de Strombeek. Ils ont repris quelques oeuvres existantes mais ont surtout commandé plus de 25 oeuvres neuves et on constate qu’au départ des seuls 40 tableaux de Bruegel, toutes les facettes du monde peuvent en fait être abordées, preuve sans doute du génie de Bruegel. Le visiteur peut chercher le lien parfois ténu, mais qui existe toujours.
Chute d’Icare
Un bureau du château est envahi de belles structures fractales en os de boeuf, même les vitrines en sont remplies, comme dans Le triomphe de la mort de Bruegel. Une oeuvre des artistes roumaines Anetta Mona Chisa et Lucia Tkacova.

A l’entrée, une grande photo rouge montre le reflet clignotant d’un gratte-ciel, forme reprise sur de fins dessins au calque. C’est l’évocation par Grazia Toderi de nos nouvelles tours de Babel (inversées).
On voit que tout peut devenir bruegelien car l’artiste fut plus universel que l’archétype d’une certaine Flandre paysanne dans lequel on a voulu parfois l’enfermer.
La chute d’Icare reste inspirante, avec son vertige si actuel d’ubris scientifique et économique qui nous conduit à la noyade. La peintre Emmanuelle Quertain a peint cette chute et Panamarenko y fait penser. Ornaghi & Prestinari l’évoquent d’une manière subtile et poétique, plaçant au fond d’une boîte posée au coin d’une pièce, une plume blanche en albâtre. Celle perdue par Icare, et la boîte est-elle celle qui emportera le tableau Bruegel depuis qu’il a été désattribué au peintre ?
Bruegel fut un peintre des proverbes, de quoi inspirer Leo Copers. Dans le grenier du château, il a déposé un tapis de lingots d’argent surmonté d’une drap comme un suaire, un étendard sanglant, et son titre inverse l’idée que l’argent corrompt l’art. Copers dit (espère?): « L’Art corrompt l’Argent ».
Lumumba
L’art contemporain peut désormais emprunter toutes les formes possibles. Le collectif Rimini Protokoll (qui viendra aussi au Kunstenfestival en mai) propose dans les cuisines du château, un casque de réalité virtuelle qui plonge le visiteur dans une grande cuisine animée, Feast of food, comme celle de Bruegel dans la fête au village.

Bruegel a aussi peint les jeux des enfants (que n’a t-il pas fait !). Pascale Marthine Tayou qui a une grande expo pour l’instant au MuZEE d’Ostende, a rassemblé dans une chambre ses belles poupées de verre, moins jouets que fétiches africains couverts d’objets .
Dirk Braeckman a photographié sa version de La chute d’Icare où la danseuse Lisbeth Gruwez est couchée avec, contre elle, une sculpture Passstücke de Franz West comme le reste d’une aile.
Ricardo Brey s’est intéressé aux vues cosmologiques du temps de Bruegel et présente une vaste installation de roues et de sphères comme un sytème de planètes menant à l’enfer de Dante.
Dès le jardin, Bruegel est là: l’artiste cherokee américain Jimmie Durham, qui va recevoir en mai à la Biennale de Venise un lion d’or pour sa carrière, y a déposé un rocher tout droit venu des Etats-Unis. Il se trouve au milieu du chemin comme une pierre d’achoppement. A côté un panneau rappelle Patrice Lumumba, c’est la Belgique qui a buté sur cette pierre au lendemain de l’indépendance et c’est le leader africain qui fut l’indispensable caillou dans la chaussure.
Dans le jardin aussi, les grandes tables de pierre et de verre de Mario Merz, recouvertes de fruits et légumes très bruegeliens.
Un parcours comme un étonnant jeu de pistes.
« La fête des fous, Bruegel redécouvert », au château de Gaasbeek, près de Bruxelles, jusqu’au 28 juillet, fermé lundi