A Venise, il n’y a pas que la Biennale mais aussi Gorky, de Waal, Ghenie…
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 16-05-2019 à 12h41 - Mis à jour le 10-11-2020 à 14h17
:focal(1003x761:1013x751)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/UFCN2MF5ABD6BH5MIVMS3M6HTA.jpg)
A chaque Biennale, les musées de Venise proposent de passionnantes expositions. Profitez-en.
En dehors de la Biennale, il y a de nombreuses belles expositions à voir à Venise. Nous avons déjà parlé de celles majeures de Kounellis à la Fondation Prada et de Tuymans au Palazzo Grassi.
Au Ca’Pesaro, le Palais au bord du Grand canal qui abrite le musée d’art moderne de Venise, on peut admirer l’exposition consacrée à Arshile Gorky (1904-1948), un très bel hommage en 80 tableaux, à un artiste important du XXe siècle, trop occulté par l’histoire de l’art. Sa courte maiséclectique carrière montre qu’il fut un pivot entre les modernes européens (à ses débuts, il suit les leçons de Cézanne, Picasso et Matisse), les surréalistes et la grande peinture américaine de l’après-guerre. Ce sont surtout ses grandes peintures abstraites de la fin de sa vie, quiconvainquent. Il y annonce Rothko (à qui il donna cours), Newman, Pollock. Il fut aussi l’ami du jeune Willem de Kooning.
L’histoire de l’art américaine, nourrie de la guerre froide, a occulté le rôle de cet immigré arménien pour ne parler que des « vrais » Américains. Elle voulait en finir avec « la colonisation » artistique de l’Amérique par l’Europe.

Mais depuis les années 40, avec ses taches de couleurs, la surface de la toile saturée de couleurs, le geste vigoureux, les premières coulures annonçant les "dripping" de Pollock, il y a une énergie, une force qui annonce l’"Action painting" et cette grande abstraction américaine d’après-guerre. Toute la fin de l’expo est très convaincante à cet égard. On ne sait comment l’artiste aurait évolué s’il n’avait été frappépar des malheurs successifs : son atelier brûle, on lui annonce un cancer, son bras est paralysé par un accident, sa femme le quitte : il se pend à l’âge de 44 ans (Rothko aussi se suicida en se coupant les veines).
Magnifique abstrait, on peut découvrir le parcours étonnant qu’il a dû suivre pour en arriver là, synthétisant une bonne part des innovations de la première moitié du XXe siècle. Arménien, il est né en Turquie au bord du lac de Van. Son père part aux Etats-Unis quand il n’a que 5 ans et il doit fuir la Turquie en 1915 à cause du génocide contre les Arméniens. Sa mère mourut de misère en 1919. Il n’a que 15 ans mais parvient à retrouver son père aux Etats-Unis.
Ses tableaux de la première partie de l’expo sont parfois surprenants quand on croit retrouver les toiles de grands peintres français modernes.
On voit aussi, petit à petit, émerger de cela, une personnalité qui éclate avec ses grands tableaux annonçant l’expressionnisme abstrait.

Au coeur du ghetto
Si vous voulez échapper aux foules de touristes, visitez l’ancien ghetto juif de Venise, créé par le Doge en 1516, et visitez le musée juif installé dans la Canton Scuola, magnifique synagogue du XVIe siècle. Le céramiste etécrivain Edmund de Waal, né en 1964 à Nottingham, y présente une exposition petite, mais d’une beautésoufflante. Il est connu pour ses installations au coeur de lieux historiques comme actuellement à la Frick Collectionà New York. Pour Venise, son expo est centrée sur les psaumes et les textes de l’exil. Dans la synagogue il a disposé de nombreuses petits ensembles en porcelaine ou albâtre, avec des plaques d’or ou d’argent sur lesquelles il écrit des psaumes. Près de la Fenice, à l’Ateneo Veneto, il montre un second volet où il célèbre 2000 livres écrits en exil, d’Ovide à Victor Hugo et Marjane Satrapi. On y découvre à nouveau ses porcelaines exquises et on peut s’y asseoir et lire ces livres à l’aise.
Près de l’Accademia, la Fondation Cini qui possède de très belles oeuvres anciennes, expose les dernières peintures du Roumain Adrian Ghenie, 41 ans, vivant à Berlin, sur le thème du carnaval et de Venise. En quelques années, le peintre qui représenta la Roumanie à la Biennale de 2015, est devenu un acteur majeur de la peinture contemporaine avec des oeuvres qui se veulent des récits sur la politique et sur l’histoire de l’art, des essais sur les thèmes du pouvoir et de la corruption. Avec des déformations extrêmes, un mélange de beauté et d’ironie. Trois tableaux évoquent même Trump avec sa mèche de cheveux, mais totalement déformé comme l’aurait fait Francis Bacon.
Arshile Gorky, Ca’Pesaro, jusqu’au 22-9, Edmund de Waal, musée juif, jusqu’au 29-9, Adrian Ghenie, Palazzo Cini, jusqu’au 18-11
