Europalia fera découvrir le pays du grand Brancusi
Publié le 06-06-2019 à 14h52 - Mis à jour le 10-11-2020 à 14h17
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Une grande exposition Brancusi à Bozar sera le sommet de cet Europalia consacré à la Roumanie.
Le Festival se déroulera du 2 octobre à janvier.
Avec 200 événements dans tous les domaines, ce sera l’occasion de découvrir un pays magnifique, de grands artistes et de briser nos préjugés.
Europalia revient cet automne en Europe, avec un pays de l’Union européenne et un festival autour de la Roumanie. Depuis l’Italie en 2003 et un festival sur l’Europe en 2007, Europalia avait centré son intérêt sur d’autres coins du monde avec la Russie, la Turquie, la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Indonésie.
La Roumanie est un magnifique pays de 20 millions d’habitants avec une très riche culture et une tradition francophile (un cinquième des Roumains connaîtraient le français).
Mais la Roumanie est méconnue et souffre de préjugés tenaces. Elle traverse aussi des grandes difficultéséconomiques qui ont entraîné une importante émigration vers le reste de l’UE. L’attitude de sa classe politique n’a pas aidé, surtout avec le gouvernement actuel et le parti social-démocrate au pouvoir, régulièrement accusés de jouer avec les limites de l’état de droit.
La Roumanie achèvera fin juin sa présidence de l’Union européenne. Le festival Europalia sera l’occasion rêvée pour briser ou nuancer les stéréotypes et découvrir la richesse culturelle d’un pays si voisin. On notera que son ministre de la culture porte le titre, sans doute significatif, de « ministre de la culture et de l’identité nationale ». On pourra prolonger la découverte en 2021, quand Timisoara sera capitale européenne de la culture.
La liste des grands noms de la culture issus de Roumanie est longue: Ionesco, Tristan Tzara, Cioran, Mircea Eliade, le prix Nobel de littérature Herta Müller, le sculpteur Brancusi, les artistes modernes Isou, Cadere, Geta Bratescu qui eut récemment une très belle expo au musée des Beaux-Arts de Gand, et les artistes vedettes actuels Mircea Cantor, Adrian Ghenie et Viktor Man.
Sans oublier en musique, l’origine roumaine de Lola Bobesco et Clara Haskil comme le compositeur Vladimir Cosma né à Bucarest. Avec un cinéma très dynamique avec les réalisateurs Cristian Mungiu et Radu Mihaileanu. Et en théatre, la metteuse en scène Gianina Carbunariu dont on avait vu en 2015 au Théâtre National à Bruxelles,Solitaritate créé par le Théâtre de Sibiu partenaire alors de notre National.
Sans oublier Dracula, célébrité mondiale ….
Les expositions
Comme toujours, Europalia c’est plus de 200 événements dans toute la Belgique et même à l’étranger. Ce sont d’abord ses expositions à commencer par celle qu’on promet exceptionnelle de Brancusi, à Bozar à partir du 2 octobre (lire ci-contre). Des interventions régulières auront lieu en marge de cette exposition, dans les salles, dont une d’Anne Teresa De Keersmaeker.
A Bozar aussi, l’exposition annexe Perspectives montrera quelques oeuvres d’artistes contemporains majeurs comme Mircea Cantor et Geta Bratescu.
La grande expo historique de cet Europalia se tiendra au musée gallo-roman de Tongres et s’intéressera aux Daces, Dacia grandeurs de la Roumanie antique. A l’époque pré-romaine, les Gètes et les Daces occupaient le territoire de l’actuelle Roumanie. On pourra y admirer de nombreux objets venus du musée national de Bucarest, dont des trésors d’or et d’argent (à partir du 19-10).
A Liège, le Grand Curtius explorera Les civilisations du Danube, au néolithique et à l’âge de bronze. La région bordée par les Carpathes, le Danube et la Mer Noire fut depuis la préhistoire un lieu d’échanges entre l’Orient et l’Occident. On y montrera des poteries, des armes en or, des figures anthropomorphes.
En art contemporain, pas de vedettes mais des découvertes et des résidences comme au Wiels avec le travail de Larisa Sitar, née en 1984 et qui vit à Bucarest. Elle explore les questions du patrimoine culturel et de l’identité nationale par différents médias (photographies, vidéos, dessins, installations).
Kanal à Bruxelles présentera le Prix Europalia, Hit, une collaboration entre l’artiste belgo-roumaine Claudia Radulescu et l’artiste belge Els Vermang. Au Smak à Gand, l’artiste Ciprian Muresan né à Cluj (où se trouve aujourd’hui une des écoles d’art importantes de Roumanie) créera un dialogue avec les oeuvres de la collection permanente du Smak.
D’autres expos sont annoncées. Au CC Strombeek, ce sera sur les migrations avec entre autres, Cadere. Aussi au Civa et au musée des Beaux-Arts de Tournai (le travail de six photographes roumains et belges en résonance avec les collections du musée).
Europalia ce sont aussi les arts de la scène et on pointera au Théâtre de Liège, une version originale du Rhinocérosd’Ionesco adapté par Robert Wilson pour le théâtre de Craiova et aux Halles de Schaerbeek, un classique du Kabuki à la sauce roumaine. Wim Vandekeybus proposera un « Concert dansé » intitulé Traces et basé sur sa fascination pour la forêt roumaine.
A cela s’ajoute encore un très vaste programme musical, cinématographique et littéraire
Festival Europalia, à partir du 2 octobre. Rens.: Europalia.eu
Il révolutionna la sculpture
Europalia présentera à Bozar à partir du 2 octobre, la première rétrospective Brancusi depuis 25 ans, sous le titreBrancusi, Sublimation of Forms. On y verra des oeuvres aussi célèbres que Muse endormie : un visage ramené àun ovale aplati, doré et penché. Sous une surface unie et continue affleurent les yeux clos, la bouche entrouverte en une fente asymétrique, dont l’indécision évoque une présence insaisissable.
On y admirera aussi Le Baiser, sculpture iconique qu’il déclinera toute sa vie, d’un couple tellement fusionnel que les deux amants sont représentés comme imbriqués l’un dans l’autre dans l’éternité d’un baiser. Une version de cette sculpture se trouve au cimetière Montparnasse au-dessus de la tombe d'une jeune femme anarchiste russe Tatiana Rachewskaia. On y verra aussi Leda, où de manière ambiguë et très stylisée, le torse d’une femme va se fondre dans la forme d’un animal tiré de la mythologie,le cygne Leda. « Je n’ai jamais pu imaginer qu’un mâle puisse se changer en cygne, mais une femme, oui », disait Brancusi.
A côté de nombre de ses oeuvres, l’exposition évoquera celle de ses contemporains et amis: Man Ray, Modigliani, Duchamp, Léger.
Constantin Brancusi est né en 1876 en Roumanie dans une famille de fermiers au pied des Carpathes. Très tôt, il entre à l’école des arts et métiers de Craiova et puis à l’école des Beaux-Arts de Bucarest dont il est diplômé en 1902. Comme tant autres artistes d’Europe centrale, il arrive à Paris en 1905 et y vécut tout le restant de sa vie. Il y poursuit ses études à l’école des Beaux-Arts. Il rencontre Rodin et devint son assistant. Apprentissage court mais essentiel.
Si Rodin est celui qui révolutionna la sculpture, après lui, il y eut une voie plus figurative avec Maillol et une voie qui filera par contre vers l’abstraction avec Brancusi. Il se devait de quitter Rodin car, disait-il, « il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres ».
L’atelier Brancusi
Dès 1908, Brancusi se place dans le grand mouvement de révolution de l’Art moderne cherchant à travers divers matériaux (pierre, marbre, bronze) des formes de plus en plus dépouillées. Il fit faire à la sculpture les mêmes transformations radicales en cours alors dans la peinture. Il disait: « La simplicité n’est pas un but en soi, mais on arrive à la simplicité en s’approchant du sens réel des choses. »
Il travaillait par séries (sur L’oiseau par exemple dont les évolutions occuperont toute une salle spectaculaire à Bozar) pour dépouiller peu à peu le sujet de tout le superflu, pour exprimer « des choses réelles qui ne soient pas la carcasse de ce que nous voyons mais ce qu’elle nous cache ».
Il laissa en Roumanie à Targu Jiu, son oeuvre la plus célèbre, La colonne sans fin, installée en 1937 en mémoire des héros tombés à la première guerre mondiale.
Un procès aussi célèbre que surréaliste eut lieu aux Etats-Unis en 1927 pour déterminer s’il fallait taxer l’importation d’oeuvres de Brancusi comme des simples marchandises brutes tant elles étaient stylisées ou s’il s’agissait bien d’art, exempté alors de taxes. Heureusement, le jugement fit de ses sculptures fort abstraites des oeuvres d’art.
A la fin de sa vie, Brancusi avait fait de son atelier à l’impasse Ronsin dans le 15e arrondissement de Paris, une oeuvre totale avec des dizaines de sculptures, des dessins, peintures et plaques photographiques et des performances in situ de danseuses. En 1956, un an avant sa mort, il légua son atelier à l’Etat français contre la promesse de le présenter ensuite au public tel qu’il était. C’est cette reconstruction à l’identique qu’on peut admirer aujourd’hui au pied du Centre Pompidou, dans une architecture de Renzo Piano datant de 1997, comme une annexe au musée.