"Datazone", le monde hurle à nos yeux

Jean-Marc Bodson
"Datazone", le monde hurle à nos yeux

Aux Rencontres d’Arles, Philippe Chancel offre une vision apocalyptique.Primé à plusieurs reprises, Datazone, le projet au long cours de Philippe Chancel pointe 14 lieux emblématiques du naufrage écologique et politique de notre planète. Il est exposé pour la première fois dans son intégralité aux Rencontres d’Arles.

Commissaire de l’exposition, Michel Poivert résume au mieux le propos : "Datazone est une invention qui parvient à englober les signes les plus tangibles de la catastrophe annoncée : écologie traumatique, désindustrialisation chaotique, revers toxique de la modernisation. De la Chine aux États-Unis, en passant par l’Afrique et l’Europe, c’est le monde entier qui hurle à nos yeux. Et aucun refuge n’est en vue."

Invention

Ce travail mené depuis plus d’une quinzaine d’années surprend par son ampleur, certes, mais surtout par une écriture documentaire qui fait de l’esthétique une arme de combat. Si le photographe français, que l’on avait découvert en 2006 dans ce même festival dirigé par Raymond Depardon, fait en effet la part belle à la beauté dans chacun des "reportages", c’est à la fois pour capter l’attention et offrir des condensés visuels des situations dramatiques dont il rend compte. On est loin ici de l’habillage esthétique superficiel si habituel dans le photoreportage. Loin de ces formalismes convenus d’une image de presse efficace. C’est en cela que Poivert voit dans le dispositif documentaire de Chancel une "invention".

Dans le vaste espace de l’église des Frères-Prêcheurs, le public est d’abord ferré par une scénographie qui lui permet d’avoir d’emblée une vue d’ensemble et de pouvoir aller scruter par la suite dans le détail chacun des sites sensibles ; une scénographie par ailleurs distincte et adaptée aux diverses fresques de nos frasques. Cela peut tout aussi bien être une mosaïque d’images serrées, un wallpaper collé à même le mur que des grands formats isolés sous encadrement. Peu importe, à chaque fois, le regard est accroché et tout aussitôt impliqué dans la critique sous-jacente.

Force

Par exemple, le tableau presque abstrait - magnifique en soi - d’une usine rasée en vue aérienne montre avec force la brutalité de cette désindustrialisation américaine qui nous a en partie valu la présidence de Trump. De même, les images colorées d’ouvriers philippins sur des chantiers aux Émirats arabes unis nous révèlent le visage de l’esclavage moderne. Idem pour les clichés caustiques de la dictature criminelle de la Corée du Nord ou les photographies subtiles de la poudrière du Proche-Orient tout aussi déstabilisants. "L’exposition invite au vertige", note Poivert tout en ajoutant "et permet, espérons-le, de reprendre pied". Peut-être, après tout, ne faut-il pas l’espérer.

"Datazone" de Philippe Chancel. Église des Frères-Prêcheurs, rue du Docteur Fanton, 13 200 Arles. Jusqu’au 22 septembre, tous les jours, de 10 h à 19 h 30. Rens. : www.rencontres-arles.com

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