Avec Roger Ballen, au coeur des ténèbres
L’artiste sud-africain présente son anxiogène théâtre de la cruauté de l’existence, à la Centrale. Pénétrer dans les salles de la Centrale for Contemporary Art à Bruxelles, c’est entrer dans le monde inquiétant et fascinant de Roger Ballen.
Publié le 18-11-2019 à 09h37 - Mis à jour le 18-11-2019 à 11h07
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L’artiste sud-africain présente son anxiogène théâtre de la cruauté de l’existence, à la Centrale.
Pénétrer dans les salles de la Centrale for Contemporary Art à Bruxelles, c’est entrer dans le monde inquiétant et fascinant de Roger Ballen. Le photographe sud-africain d'origine américaine nous plonge comme à chacune de ses expositions dans les zones sombres de notre inconscient et dans les souterrains glauques de nos sociétés. Un monde qui est un voyage dans les méandres de son esprit, une aventure qui flirte si pas avec la folie au moins avec l’inquiétante étrangeté de l’inconscient chère à Freud et génératrice d’une autre beauté, sauvage.
Ces dernières années, il a élargi son champ d’action à la vidéo et aux installations un peu granguignolesques. Un moment clé dans ce virage fut le succès inouï (et mérité) de son clip I Fink U Freeky, vu par plus de 40 millions d’internautes, réalisé pour le groupe sud-africain de rap-rave Die Antwoord avec les artistes Ninja et Yolandi. Un film complètement déjanté, à l’imagination et à la beauté folles qui fait de Lady Gaga une bien sage dame. On peut revoir cette vidéo dans une salle de la Centrale, entouré de décors très gore.

Dans le cadre de cette exposition, le groupe Die Antwoord donnera un concret exceptionnel sold out, à l’AB le 25 novembre, mis en scène par Roger Ballen.
L’art de Roger Ballen a fort évolué en vingt ans. Toujours en noir et blanc et carrées (Rolleiflex), ses photographies explorent d’emblée la condition humaine. Et ce fut d’abord, les hommes en marge, les outsiders, les "gueules" qu’il observa autour de lui en Afrique du Sud. Comme les inoubliables jumeaux Dresie et Casie qui se ressemblent parfaitement, aussi effrayants l’un que l’autre, les oreilles décollées, la bave aux lèvres. Ils fascinent et glacent.
Son œuvre suscite d’abord la polémique avant d’être reconnue partout. En 1995, il reçoit le prix des rencontres internationales de photographie d’Arles. Parmi ses références, on pense à Diane Arbus, Dubuffet (le père de l’art brut) et Antonin Artaud et son théâtre de la cruauté. "Les êtres, écrivait Artaud, sont cette vie parasitaire virtuelle qui s’est créée en marge de la vraie vie et qui a fini par avoir la prétention de la remplacer. »

Ronny Delrue
S’ils sont effrayants, ces êtres sont aussi touchants. Après cette quête ethnologique des bas-côtés de la société sud-africaine, Roger Ballen s’est mis à construire des photos soigneusement mises en scène, structurées comme des énigmes, dans des chambres abandonnées sans meubles ni ornements, avec des animaux égarés, des squelettes, des morceaux de corps, des hommes rares, hagards, dissimulés derrière des couvertures ou des masques. On pense parfois à Francis Bacon, mais aussi à un théâtre du burlesque, de la cruauté, à Samuel Beckett, à un cirque des pauvres.
C’est cette veine-là qu’on découvre à la Centrale, amplifié encore par les vidéos récentes, par ses dessins et par un grand décor de salle de concert désertée, où se retrouvent des mannequins d’hommes et femmes endormis sur leurs sièges et des musiciens sur scène, morts-vivants.

On adhère plus difficilement à ce monde qu’il développe désormais qui est toujours voyage dans la psyché humaine, mais plus anxiogène et halluciné.
En introduction à cette expo, l’univers de Ronny Delrue apparaît presque apaisé alors que lui aussi plonge dans les tréfonds de l’âme. Nous avons déjà parlé de son expo actuelle au Smak à Gand où il dialogue avec cinq artistes du monde. Ici, c’est avec Roger Ballen et cela donne des oeuvres communes (dessins, photographies) fort réussies. On présente aussi quelques neuves plus anciennes mais fortes de Ronny Delrue : des portraits de famille trouvés aux Puces qu’il agrandit et dont il noircit les visages. Et sur une table, ses « Saints absents » : des cloches de verre désormais vides, qui abritaient auparavant vierges et saints mais qui ont désormais désertés le monde.
En images : Expo "Roger Ballen – The Theatre of the Ballenesque et Correspondances, un dialogue entre Ronny Delrue et Roger Ballen
Roger Ballen-Ronny Delrue, La Centrale, place Sainte-Catherine, Bruxelles, jusqu’au 14 mars
Ronny Delrue au Smak, à Gand, jusqu’au 19 janvier
A la Box Galerie, chaussée de Vleurgat 102, Bruxelles, jusqu'au 21-12, on montre la belle série plus ancienne de Roger Ballen "Outland" de 2001, celle où il quitte la photographie documentaire pour un monde fictionnel.