Hans Hartung peignait même au râteau et à la sulfateuse
Publié le 19-11-2019 à 07h36
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Pionnier de l’abstraction lyrique, expérimentateur incessant, Paris rend un bel hommage à Hans Hartung.
Pour fêter la réouverture de ses salles rénovées, le musée d’Art moderne de Paris a choisi de fêter Hans Hartung (1904-1989), pionnier de l’abstraction lyrique, avec plus de 300 peintures, dessins et photographies. Une redécouverte, car Hartung avait été un peu oublié après sa mort en 1989.
Né à Leipzig, antinazi, Hans Hartung s’installa en France et à Minorque dans l’atelier-maison qu’il partagea avec Anna-Eva Bergman qu’il épousa deux fois. Le couple vivra à partir de 1973 dans sa belle maison d’Antibes.
Pendant la guerre, il s’engagea dans la Légion étrangère et y perdit la jambe droite. Un terrible handicap qui ne l’empêcha jamais de peindre frénétiquement et d’inventer sans cesse de nouveaux outils pensés comme des prolongations de ses mains.
L’exposition chronologique, très complète jusqu’à apparaître trop longue, débute par ses premières recherches sur l’abstraction et le geste de peindre. On raconte que sa passion du geste est née à l’école pendant un orage quand il tentait de dessiner l’éclair avant que le bruit du tonnerre n’arrive.
Ses tableaux d’alors, avec leurs taches de couleurs et les grands signes, calligraphie en noir, semblent spontanés, mais sont en réalité réfléchis au départ d’aquarelles servant de test. Il choisit alors parmi celles-ci, celles qu’il agrandira sous forme de tableaux par une mise au carreau. L’exposition montre comment il travaille par séries, au départ aussi de dessins comme une belle suite à l’encre noire, vraie fabrique de formes.
En avance sur l’Action Painting
Après guerre, il est reconnu comme peintre majeur et reçoit en 1960 le grand prix de la Biennale de Venise. Soulages l’admire et devient son ami. Alain Resnais réalise en 1948 un film Visite à Hans Hartung, projeté à l’exposition.
Après 1960, il opère un virage stylistique capital. Fini les mises au carreau, il attaque directement la toile, utilise l’acrylique, peint sur des toiles toujours plus grandes, Toujours en recherche, il ne cesse d’inventer, de remettre sa peinture sur le métier, d’inventer de nouveaux gestes comme le firent l’Action Painting de Pollock ou la peinture gestuelle.

Il ose des couleurs froides ou acides (jaune citron, brun foncé) jusqu’à associer dans les années 70 des couleurs à l’esthétique pop ou psychédélique.
Pour trouver le geste libre, débarrassé de tout frein, il invente d’étranges instruments: incisant la peinture avec un râteau ou une brosse pour étriller les chevaux, fouettant la toile avec des branches de genêts plongés dans la peinture, griffant les couleurs. Il peut utiliser une tyrolienne (un instrument pour projeter le crépi sur les murs), des pistolets de carrossiers et même en 1989, peu avant sa mort, une sulfateuse (un bidon muni d’un tuyau flexible et d’une large buse pour traiter les vignes).
Ses dernières années ont été parfois mal comprises mais elles apparaissent à l’expo comme un moment de liberté totale, de jouissance de peindre sur de très grandes toiles. Même affaibli depuis 1986 par un accident cardiaque, il peint de plus en plus, de plus en plus grand (jusqu’à des toiles de 3x5 m), réalisant une toile parfois en quelques minutes, comme si peindre pouvait reculer la mort.
Malgré (ou à cause de) son handicap, son grand âge et la mort de sa femme, il gardait une vitalité intacte, nageant chaque jour, peignant de grands tableaux qui séchaient sur le sol de l’atelier, tout en écoutant la musique du XVIIe siècle au milieu du bruit de peinture jaillissant de la sulfateuse.
Un an avant sa mort, à 84 ans, il disait: « le plaisir de vivre se confond en moi avec le plaisir de peindre. Lorsqu’on consacre toute sa vie à la peinture, que l’on cherche à aller toujours plus loin, il est impossible de s’arrêter ». En 1987, il réalisait 85 oeuvres, en 1988, 216 et en 1989, 360 !
La nécessité et la joie pure de peindre d’un vieillard profitant de sa liberté totale.
Il meurt le 9 décembre 1989 au moment de la chute du Mur. Tout un symbole pour lui né en Allemagne de l’Est.
Hans Hartung, musée d’Art moderne de Paris, jusqu’au 1er mars