David Wojnarowicz cristallise le désespoir d’une Amérique gangrenée par le VIH
New York, les années 80. Génération underground. Une période marquée par une énergie créative débordante mais aussi par une grande précarité économique. Sur fond de conflits socio-culturels, le VIH fait des ravages… plus encore au sein de la communauté gay. C’est dans ce contexte mouvementé qu’évolue David Wojnarowicz (Red Bank/New Jersey, 1954 - New York, 1992), photographe, vidéaste, musicien, peintre, théoricien et écrivain.
Publié le 20-11-2019 à 17h36 - Mis à jour le 20-11-2019 à 17h37
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En toile de fond, l’inaction gouvernementale et ses conséquences fatales. New York, les années 80. Génération underground. Une période marquée par une énergie créative débordante mais aussi par une grande précarité économique. Sur fond de conflits socio-culturels, le VIH fait des ravages… plus encore au sein de la communauté gay. C’est dans ce contexte mouvementé qu’évolue David Wojnarowicz (Red Bank/New Jersey, 1954 - New York, 1992), photographe, vidéaste, musicien, peintre, théoricien et écrivain.
Homosexuel militant et fervent activiste, l’homme s’insurge contre la société américaine. Il dénonce tout particulièrement la stigmatisation des victimes et l’inaction des pouvoirs publics face à l’épidémie. Très vite, il s’impose comme le porte-voix d’une génération qui se bat pour la défense des droits des personnes atteintes du sida dans une Amérique qui excelle dans l’art d’exclure les personnes en marge de la culture dominante.
Électron libre, il refusa toute sa vie de s’assigner à un style. Résultat ? Un ensemble hétérogène et inclassable d’œuvres d’une variété esthétique remarquable, dont le seul fil d’Ariane tient dans l’esprit radical.
Motifs personnels et atemporels
Déjà présentée à New York et à Madrid, cette rétrospective itinérante est la première organisée depuis 20 ans et la plus importante à ce jour. Abordant de multiples facettes, quelque 150 œuvres tentent de circonscrire la contribution inestimable de ce personnage plus grand que nature. Un touche-à-tout autodidacte qui évolua dans ce milieu alternatif new-yorkais, et dont les préoccupations personnelles sont indissociables de la création artistique. Une production dans laquelle il évoque des sujets atemporels : le sexe, la spiritualité, l’amour ou encore la disparition.
Comme sa carrière, le parcours s’ouvre sur des œuvres de la fin des années 70 qui témoignent de l’intérêt que David Wojnarowicz porte à plusieurs figures littéraires à une époque où lui-même aspire à devenir écrivain. Un ensemble de photographies et de collages rendent hommage à des hommes de lettres de la contre-culture comme Arthur Rimbaud, William Burroughs et Jean Genet. On découvre une de ses séries emblématiques, "Arthur Rimbaud in New York" (1978-1979), pour laquelle ses amis ont posé dans différents sites de la ville avec un masque du poète français. La deuxième salle rassemble des œuvres de la décennie suivante, souvent réalisées à partir de matériaux récupérés et dans lesquelles il emploie la technique du pochoir. La visite se poursuit avec des œuvres qui gagnent en complexité. On rencontre une sélection de peintures du milieu des années 80 qui allient sujets mythologiques et références à l’urbanisme, à la technologie, à la religion ou encore à l’industrie. Des sculptures en forme de tête de la série "Metamorphosis" ou les séries photographiques "Ant Series" et "Sex Series" font également partie du voyage.

À corps et à sang
L’artiste nous présente un visage de New York ; celui d’une ville gangrenée par le virus du sida qui emporte ses voisins et amis… L’année 1987 est marquée par le décès de Peter Hujar, complice et mentor éternel de l’artiste, qu’il immortalise sur son lit de mort. Trois photographies - silencieuses et hurlantes - constituent un acte supplémentaire dans son travail de dénonciation inlassable des ravages du sida. Les clichés du visage, des mains et des pieds sans vie de Peter Hujar ont été incorporés à un tableau recouvert d’un texte pointant l’homophobie systématique et la complicité du gouvernement qui ne réagit toujours pas.
La deuxième partie de l’exposition débute sur les peintures Water, Earth, Fire et Wind (1987). Ces représentations allégoriques des 4 éléments - thème majeur dans l’histoire de l’art - sont de véritables condensés de vie. Créées dans l’angoisse d’un diagnostic médical, elles constituent une tentative émouvante de la part de David Wojnarowicz de se souvenir de tout ce qu’il a appris lors de son passage sur Terre.
Un an plus tard, le couperet tombe. L’artiste découvre sa propre séropositivité qui constitue, à l’époque, l’équivalent d’une condamnation à mort. Plus que jamais, ses œuvres traduisent toute la situation d’urgence qui l’anime. Ses dernières réalisations marquées par le deuil et la maladie, telles que Untitled (When I Put My Hands on Your Body) (1990) et l’œuvre iconique Untitled (One Day This Kid…) (1990-1991) - dans laquelle il combine une photographie de lui enfant et une description de la violence sociale qu’il va subir - annoncent l’inacceptable.
Le parcours est ponctué de séquences filmées qui permettent de mesurer la profondeur de ses convictions. Dans son œuvre, la figure du gay séropositif pourrait être remplacée par n’importe quelle minorité discriminée : les SDF, les prostitué(e)s, les personnes victimes du racisme ambiant… mais aussi les animaux. Motif récurrent dans son travail, la fourmi symbolise l’humanité dans sa nature la plus élémentaire.
Une exposition panorama ultra-complexe d’une personnalité hors norme, dont on ressort aussi sonné qu’un boxeur mal préparé. Le combat de David Wojnarowicz était perdu d’avance. Le sida a eu raison de sa ténacité en 1992. Il avait 37 ans.
David Wojnarowicz. History Keeps Me Awake at Night Où Mudam Luxembourg - Musée d’Art Moderne Grand-Duc Jean, Park Dräi Eechelen, L-1499 Luxembourg-Kirchberg. Mudam.com Quand Jusqu’au 9 février, du jeudi au lundi de 10h à 18h, le mercredi de 10h à 21h.
