Le punk à l’affiche à Bruxelles
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Publié le 24-11-2019 à 15h31 - Mis à jour le 24-11-2019 à 15h42
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L’Adam Design Museum de Bruxelles met à l’honneur le graphisme du mouvement punk. Une exposition constituée à partir de la collection exceptionnelle de l’Américain Andrew Krivine. Une esthétique qui continue de marquer l'imaginaire, même si le "punk is dead"...
On ne se pincera pas le nez avec une épingle à nourrice : qu’on aime ou non le pogo, on peut apprécier l’exposition Punk Graphics, Too Fast To Live, Too Young To Die sous son angle purement artistique. Le graphisme des affiches, pochettes de disque, flyers ou fanzines est sans doute la part du mouvement qui a le mieux vieilli et conservé une influence durable. Après le Cranbrook Art Museum de Detroit, qui a créé l’exposition, ces artefacts s’affichent à l’Adam Design Museum de Bruxelles jusqu’au 26 avril.

Un banquier d'affaires fan de punk
Andrew Krivine n’a pas le physique du collectionneur punk. Ce New-Yorkais a le sourire débonnaire, le port beau, la coupe proprette et les lunettes discrètes du banquier d’affaires qu’il est au quotidien. Mais ce passionné, "obsessionnel" de son propre aveu, est tombé dans la mare punk adolescent. "En juin 1977, précise-t-il. Cet été-là, mes parents m’envoient dans la famille britannique de mon père. C’est l’explosion de la scène punk à Londres. Mon cousin tenait la boutique Boy, qui était emblématique du mouvement. J’ai très vite été fasciné par le graphisme des posters de ces groupes."
Quarante-deux ans plus tard, Andrew Krivine détient une collection de quelque 3 500 pièces (affiches, badges, t-shirts, fanzines, même des partitions musicales), dont un bon quart forme l’exposition Punk Graphics. Elle est augmentée d’une section belge - constituée à partir de pièces de la collection d’Annik Honoré, connue pour sa relation avec Ian Curtis de Joy Division, mais qui fut surtout programmatrice au Plan K, de 1979 à 1984, et cofondatrice avec Michel Duval des Disques du Crépuscule.

Pas de nostalgie
Les curateurs ont évité la sacralisation - à bon escient vu le sujet. La majorité des pièces, hormis les plus fragiles, ne sont pas sous verre mais simplement épinglées, comme à l’origine, sur les murs d’un disquaire ou d’une chambre d’ado. Effet garanti : on a retrouvé l’ambiance de celle de notre frangin, fin des années septante.
"Ce n’est pas une exposition nostalgique sur le punk", insiste Andrew Krivine. S’il y a, à l’entrée du parcours, des platines où les visiteurs pourront improviser un set DJ, les seules notes qu’on entendra dans les salles sont celles accompagnant quelques films d’époque. Pour le reste, selon les voeux du collectionneur, c’est le graphisme qui est à l’honneur.
Suivant cette grille de lecture, le parcours n’est pas chronologique, mais thématique. Andrew Krivine en crédite Andrew Bauvelt, directeur du Cranbrook Art Museum de Detroit, qui a organisé la première exposition. "Il a apporté une grille de lecture esthétique et artistique, en groupant les visuels par thématique ou style. Il a donné du sens aux pratiques des artistes punks."
- Jusqu’au 26 avril, Adam Design Museum. Place de Belgique 1, 1020 Laeken. Rens. : www.adamuseum.be.
- L’éditeur britannique Pavillon Books publiera en mai 2020 un recueil des affiches de la collection d’Andrew Krivine, sous le titre "Too Fast To Live, Too Young To Die : Punk Post-Punk Graphics 1976-1986".
L’héritage du “No Future”
Les affiches punk et les pochettes des albums sont un mode d’expression, estime Andrew Krivine. Elles véhiculent des idées, qui contestent un ordre établi ou des politiques dans un contexte précis. Le mouvement Rock Against Racism réagit par exemple à des dérives nationalistes dans les années 1970 au Royaume-Uni. Puis il y a les réactions des politiques de Reagan et de Thatcher ou les revendications pacifistes. En ce sens, je trouve que certaines affiches ont encore du sens aujourd’hui.”
Couvrant une décennie, de 1976 à 1986, l’exposition met en évidence l’évolution du minimalisme brut des débuts du punk au foisonnement expressif qui emprunte à divers courants, comme le Constructivisme, Dada ou le Pop Art. Le proto-punk américain gravita effectivement autour de la Factory d’Andy Warhol, où se croisèrent Lou Reed, Nico, Iggy Pop et ses Stooges, et où le Britannique Malcolm McLaren trouva, au début des années 1970, les éléments qui vont forger l’identité visuelle des Sex Pistols en 1975, acte de naissance du punk britannique et début de la popularisation du mouvement.

Des artistes engagés
On peut le constater à l’exposition Punk Graphics : les créations visuelles britanniques de l’époque sont plus politiques. Malgré le nihilisme supposé du courant, ces petits jeunes-là défendaient quelques valeurs, se mobilisant contre la guerre ou le racisme. L’engagement plus affirmé des punks britanniques s’explique, selon Andrew Krivine par “la formation et le parcours des groupes anglais. Le système éducatif européen accordait une grande place à la formation artistique. Beaucoup de membres de groupes anglais sont passés par des écoles artistiques. C’est moins le cas aux États-Unis en dehors des Talking Heads, de Devo ou des Dead Kennedys.”
La collection Krivine et l’exposition mêlent mouvement punk et New Wave. Siouxsie and the Banshees y ont comme voisins de cimaises les Allemands de Kraftwerk ; Iggy Pop s’affiche à côté d’Human League. Mais l’exégèse musicale importe moins que les évolutions d’une création visuelle commune, faite de détournement d’images politiques ou commerciales, de collages ou de couleurs flashy héritées des sérigraphies warholiennes qui marqueront les années 80 – en témoigne la célèbre pochette de London Calling de The Clash, inspirée des sérigraphies sérielles d’Andy Warhol dont le vert et le rose pastels teintent la décennie suivante.

La récupération de l'esthétique punk
De même, les graphistes qui ont affûté leur palette pour les groupes punk, une fois devenus professionnels, peaufinent leur art pour la vague suivante – parmi eux, Peter Saville marque de son empreinte Factory Records (1978-1992), prolongeant l’identité visuelle de Joy Division pour les membres survivants du groupe devenu New Order.
En France, on trouve aussi des héritages graphiques du punk et de ses fanzines dans Métal Hurlant (1975), qui agrège BD, science-fiction et musique, ainsi que dans la mue du magazine Actuel, qui connaît son apogée éditorial entre 1979 et 1990. Le directeur artistique de Métal, Etienne Robial, conçoit ensuite l’habillage visuel de Canal + (1984), dont l’émission Nulle part ailleurs (1987) a pillé la rédaction et le ton d’Actuel.
La contre-culture spontanée du punk est absorbée par le mainstream. “No Future”, clamaient les punks. Mais si l’esprit punk is dead, son esthétique subsiste.

Cinq visuels mblématiques
“God Save The Queen” (1977)
Une des images les plus célèbres du punk signée Jamie Reid, graphiste majeur du mouvement. Malcolm McLaren a rencontré le graphiste en 1968 au Croydon College. Devenu manager des Sex Pistols, et inspiré par la scène du proto-punk américain, McLaren demande à Reid de concevoir l’identité visuelle des Sex Pistols en 1975. Marqué par les affiches de Mai 68, Reid opte pour le détournement et l’esthétique Do It Yourself. Pour le deuxième single du groupe (qui sort l’année du jubilé d’Elisabeth II), il prend une photo de la Reine par Cecil Beaton. Les yeux et la bouche sont recouverts du titre de la chanson et du nom du groupe avec des lettres découpées à la façon des lettres anonymes. Scandale et impact garantis.

“Orgasm Addict” (1977)
Créé pour un single des Buzzcocks, voici un exemple de détournement et de propos politique par une des rares graphistes féminines du punk. Linder Sterling s’est fait une spécialité de détourner l’imagerie des magazines féminins et masculins. Elle associe ici un corps féminin dénudé – issu des seconds – avec un fer à repasser – symbole du cliché de la ménagère idéale dans les premiers. Le graphiste Malcolm Garrett partage le même code couleur que celui de la non moins célèbre pochette de l’album Never Mind The Bollocks, Here’s the Sex Pistols sorti deux semaines plus tôt, la même année.

“Unknown Pleasures” (1979)
Le nom de Peter Saville est indissociable du label Factory Records et du groupe Joy Division et de sa mue New Order. Cette image, encore reproduite aujourd’hui sur des t-shirts, est la visualisation informatique des ondes d’un pulsar. Saville la reproduit en négatif, le fond noir accentuant l’atmosphère sombre du premier album du groupe mancunien.

“London Calling” (1979)
“Une des pochettes les plus emblématiques du punk” pour un groupe tout aussi mythique, note Andrew Krivine. La photographe Ponnie Smith a immortalisé Paul Simonon de The Clash éclatant sa basse sur la scène du Palladium de New York. Ray Lowry répète et colore le cliché, comme sur une sérigraphie sérielle d’Andy Warhol. La typographie imite celle du premier album d’Elvis Presley – écho de la volonté du punk de revenir aux sources du rock.

“Remain in Light” (1980)
Le groupe américain Talking Heads s’impliquait dans toutes les étapes créatives. La bassiste Tina Weymouth et le batteur Chris Frantz ont travaillé étroitement avec Walter Bender et Scott Fisher du MIT Media Lab pour produire parmi les premières images générées par ordinateur pour cette pochette de l’album Remain in Light. Les quatre avions de chasse sont une allusion au père de Weymouth, qui fut pilote dans l’US Navy. Tibor Kalman, du collectif M&Co, a créé le graphisme, imaginant notamment l’inversion des “A” pour le nom du groupe.
