Soto, la quatrième dimension
Très sensible exposition du plus déroutant des artistes optiques au Guggenheim : Jesus Rafael Soto (1923-2005).
Publié le 27-11-2019 à 19h10
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Très sensible exposition du plus déroutant des artistes optiques au Guggenheim : Jesus Rafael Soto (1923-2005). Lors de son ouverture en grande pompe il y a plus de quarante ans, le Centre Pompidou, à Paris, offrait au public, en son rez-de-chaussée, la possibilité de faire partie intégrante d’une œuvre d’art. Ce n’était pas commun à l’époque.
En entrant dans l’un des "Pénétrables" de Soto, le visiteur curieux pouvait éprouver la sensation, rare, de jouer avec l’art en le transformant par sa présence. En l’individualisant.
Si le "Pénétrable" du Centre Pompidou a depuis rejoint les immenses réserves du vaste paquebot de fer du cœur de Paris, la rétrospective Soto, au Guggenheim de Bilbao, offre, aux amateurs de belles sensations, la possibilité de pénétrer à leur tour quelques-unes des pièces iconiques de l’artiste vénézuélien, qui vécut longtemps à Paris et y décéda.
La Fondation Soto, localisée à Paris, est partie prenante de l’événement, lequel concentre, en une seule salle ô combien prenante, l’essentiel de la création de Soto grâce à de précieux prêts étrangers.
Soixante œuvres de grand format semblent s’y assembler de soi pour nous convaincre de la solidité (même si elles sont très fragiles) d’un ouvrage qui chamboule à souhait notre perception de l’œuvre que nous y avons sous les yeux, fût-elle aussi murale.
Construction et… déconstruction
Le grand art de Soto tiendrait-il en une évidence paradoxale : Soto construit autant qu’il déconstruit et déjoue la réception rétinienne ? Comment ne pas le penser quand, face à nous, épisodes d’un parcours en recherche constante de mouvement, Soto composa ces pièces qui semblent danser devant nous au point de nous faire croire à des magies visuelles intenses et véritables ?
Magicien de la quatrième dimension visuelle comme un Raymond Devos pouvait l’être avec des mots, Soto a, il faut en convenir, créé un mouvement virtuel qui nous confond.
Géniale, son œuvre, quand elle semble danser, ne danse que par l’illusion qu’ordonne un Soto qui joue avec les lignes, les couleurs, les espacements. C’est l’œuvre elle-même, son articulation, qui crée l’illusion d’un mouvement dont on ne peut se défaire tant il est puissant, profond, pénétrant.
La carrière d’un visionnaire
À sa manière et avec ses amis de l’Optical Art, de Vasarely à Agam ou Cruz-Diez, Jesus Rafael Soto a transformé l’art de la seconde moitié du XXe siècle. Lui a donné des couleurs et des sensations capables de concerner la rue même.
Il en appela, comme Vasarely, à la fonction sociale de l’art, ce qu’avaient déjà prôné les constructivistes au temps de la Révolution russe trois bonnes décennies plus tôt mais d’autre façon. En quelque sorte, rendre l’art au peuple.
À ses débuts, Soto entendit déjà faire front à la séparation trop radicale entre peinture et sculpture en agissant de pair avec l’une et l’autre. Au début, et la documentation installée dans des vitrines est appréciable, Soto s’offre à nous avec les magazines qui en parlent et les affiches ou catalogues qui le situent à Paris.
De ses "Compositions dynamiques", de 1950, à ses "Structures cinétiques", cinq ans plus tard et un "Pré-pénétrable", de 1957, ou encore une série de pièces de 1961, en bois et fils de fer, intitulée "Vibration", on suit une courbe qui va crescendo sur un mode vibratoire de plus en plus intense.
1966, Soto participe au groupe d’avant-garde Zéro aux côtés d’Uecker, Klein, Fontana, Walter Leblanc et, dès 1967, il expose chez Denise René.
La couleur à son tour joue un rôle vibratoire. Ainsi dans Muro azul, negro i plata, de 1966, ou dans Torre vibrante blanco i negro, de 1968, quand du bleu, du blanc et du noir s’entrecroisent à l’instar des reliefs qui s’y imposent en contrebande.
Il atteint alors un sommet dans la réalisation de pièces troublantes à souhait, nos sensations visuelles s’offrant des danses de Saint-Guy presque hallucinatoires avec Triptico negro y blanco ou Triptico amarillo, toutes deux de 1973.
Pénétrables, volumes virtuels
Ses "Pénétrables" ne sont pas moins enchanteurs et diverses versions s’offrent à vous au Guggenheim. Il est même permis de s’y engouffrer, de s’y déboussoler, effets optiques et spatiaux garantis !
Sans cesse animé par la curiosité et le goût des paradoxes, Soto n’a cessé d’innover. Il y a eu ses "Extensions" et ses "Progressions", ses "Sotomagies", des volumes virtuels et des œuvres géométriques suspendues dans l’espace.
Jouant autant de la verticalité que de l’horizontalité, il a joué et s’est joué des couleurs. Remarquable, sa pièce Virtual Oliva, de 1979, avec couleur olive au centre du tableau enveloppé de noir et de reliefs, donne le bon vertige.
De la même époque, Escritura muro negro, de 1977, peinture acrylique, bois, métal et nylon, met l’écriture elle-même au cœur des préoccupations plastiques d’un homme épris aussi de poésie visuelle.
Azul mayor, de 2001 prouve qu’âgé, il n’avait rien perdu de sa force de frappe. Reliefs gris/bleu, carrés de plus en plus grands, sur lequel il posa un bleu intense : l’effet surprend une fois de plus.
Une visite s’impose à Bilbao, car les rétrospectives de cette envergure ne courent pas les rues !
Soto, la quatrième dimension Art Contemporain Où Guggenheim, Bilbao. www.guggenheim-bilbao.eus et 349.4359.008. Catalogue avec de nouveaux textes critiques sur l’héritage et l’influence de Soto sur l’histoire récente de l’art. Coédition Musée Guggenheim et La Fabrica, 205 pages en couleurs Quand Jusqu’au 9 février.
