Magnifique expo Tillmans qui repousse les limites de l’image
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Publié le 03-02-2020 à 10h23 - Mis à jour le 09-03-2020 à 16h00
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Au Wiels, première expo belge de Wolgang Tillmans. Elle montre tout le talent créateur du photographe.
Jamais encore Wolfgang Tillmans, 51 ans, n’avait eu une exposition belge. On ne sait ce qui explique cette pusillanimité belge, mais elle est étonnante car Tillmans est montré depuis 20 ans, jusqu'à la Tate Modern en 2017 et le MoMA en 2021. Une raison pour ne pas rater l’exposition magnifique qu’il a réalisée au Wiels avec une grande inventivité, touchant ici aussi à la vidéo et la musique.
Tillmans n’a jamais cessé d’explorer des terrains nouveaux pour son art et de renouveler aussi la manière de faire des expos. Au Wiels, comme à son habitude il s’est occupé lui-même du choix des oeuvres et de l’arrangement des salles, avec l’aide de deux commissaires, Devrim Bayar et Dirk Snauwaert.
Construire une exposition (ou un livre) est pour lui, aussi, une forme d’art. Il faut bien tout observer, car il juxtapose de très grandes photos et des toutes petites, il en place dans les coins des salles, ou très haut, quasi au plafond, il punaise de grands tirages ou en met sous cadres, il en accroche beaucoup avec du simple papier collant.
Il veut ainsi secouer et renouveler notre regard, montrer que l’intérêt est souvent dans les « coins » du monde qui nous entoure, nous montrer aussi l’importance des « bords » d’une photo comme les « bords » de la société, démontrer qu’on ne voit pas toujours ce qu’on voit.
L’art de Tillmans est poétique quand il montre la fragilité des hommes et de la vie et la beauté cachée de la nature ou chez ses amis. Il est tout autant politique quand il s’engage pour le droit des minorités et des communautés menacées.
Tillmans a multiplié les expérimentations mais toujours avec cette empathie pour la complexité du monde qu’il avait déjà, jeune, en Allemagne dans les communautés technos. Sa seule question en regardant le monde comme il va, est : « Puis-je en faire une photo et apporter quelque chose de neuf ? »
Il a étendu son art à la mode, la musique, les pochettes de groupes pop, la vidéo, la défense de causes politiques comme le mouvement gay, la lutte contre le inégalités et, l’an dernier, la lutte pour amener les Européens à voter.
Tout en revenant sans cesse aussi à la beauté et à l’histoire de l’art.

Fleuve Congo
Il est né à Remscheid en Allemagne, en 1968, et participe aux communautés technos d’Hambourg. Il découvre alors la jeune culture anglaise et passe depuis l’essentiel de son temps à Londres, devenant en 2000, le premier photographe et le premier non-Britannique à recevoir le prestigieux Turner Prize.
L’expo au Wiels est comme une méga-installation sur deux étages. Elle débute au deuxième, par un large choix de ses photographies, de 1986 à aujourd’hui. Chaque salle est à la fois thématique et faite de photographies qu’on peut découvrir indépendamment. La première montre des images du monde comme celle, somptueuse et énorme, du fleuve Congo qui ondule dans toutes les nuances de brun. A côté, celle toute blanche d’une usine de chaux et celle d’un homme se jetant à la mer, sous une fine pluie.
On peut trouver des liens formels entre elles ou ressentir des résonances comme entre ce paysage vert d’Irlande et celui terreux d’Afrique. Entre celle d’un détail fort agrandi d’un jardin et celle petite d’un immense désert.
S’il a sillonné le monde, ce n’est pas pour y capter l’instant décisif ou pour enregistrer la réalité, mais c’est pour en extraire des images neuves.
Eve avant la pomme
Chaque salle est comme une autre manière de s’emparer du réel. Il peut y explorer l’abstraction dans des séries où il manipule la lumière directement sur le papier photographique, y laissant volontairement des impuretés ou créant un improbable lever de soleil vert sur une mer orange.
Ou alors il se plonge dans les combats actuels, du Chili aux camps de réfugiés en Afrique où les LBGT sont dangereusement menacés (Tillmans est gay). Car s’il fut aussi un photographe de mode et de groupes pop, il est d’abord un humaniste qui ne croit pas au génie de l’artiste, mais bien à son rôle dans la société.
Il faut se laisser surprendre par ses photographies où de petites images, alternant avec de grands « tableaux », montrent la beauté d’une main, d’un bras, d’une fleur, la courbe d’un cou, d’un livre vu de sa tranche ou d’une feuille pliée.
Il documente les communautés autour de lui comme l’a fait Nan Goldin, avec parfois leur sexualité affichée. Mais contrairement à Goldin, il y a chez les sujets de Tillmans l’innocence joyeuse d’Eve et Adam avant qu’ils ne soient chassés du Paradis, comme le montre l’image de Lutz et Alex grimpant nus sur un arbre.
Il photographie dans leur spontanéité et leur vulnérabilité, des inconnus, vieux, jeunes, tout autant que des stars tels Lady Gaga, l’actrice Chloé Sevigny ou une Pussy Riot.
L’étage supérieur ménage une belle surprise. Après une salle baignée de lumière naturelle, une triple projection vidéo sur très grand écran est accompagnée de sa musique et de sa voix (il chante très bien). On voit son bras ou sa jambe, des barres métalliques qui s’entrechoquent, un télescope géant qui s’ouvre. L’autre installation vidéo est très méditative avec simplement des gros plans sur la mousse qui va et vient sur nos plages, mélancolique comme le temps qui passe, image de nos identités sans cesse changeantes et multiples.
Dans le belvédère, il y a une installation sans image où il explique l’impasse d’un monde hyper technologique qui semble tuer la possibilité d’une image.
Wolfgang Tillmans, Today is the First day, Wiels, Bruxelles, jusqu’au 24 mai.