Politique et infinie douceur au Vietnam
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 04-02-2020 à 07h49 - Mis à jour le 04-02-2020 à 07h50
:focal(1275x725:1285x715)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/BJATYZRJZRG3DEGGZZ64RDL5U4.jpg)
Révélation au Wiels de la jeune artiste vietnamienne Thao Nguyen Phan avec ses vidéos et aquarelles.
A côté de la magnifique exposition Wolfgang Tillmans qui permet d’exposer enfin à Bruxelles, sur deux étages du Wiels, cet artiste majeur, on découvre une seconde exposition au Wiels, toute différente. Elle révèle le talent poétique et politique, fragile et beau, d’une jeune Vietnamienne, Thao Nguyen Phan, née à Hô Chi Minh-Ville en 1987 et où elle vit et travaille toujours.
Elle a aussi été choisie fin 2019, par le Palais de Tokyo, pour participer à la Biennale de Lyon. Dans le cadre du projet Rolex de placer de jeunes artistes prometteurs sous le monitorat d’artistes confirmés, elle a travaillé auprès de l’artiste américaine de vidéo et performance Joan Jonas.
Tout l’étage du Wiels qui lui est consacré est baigné d’une grande beauté et douceur, mais, attention, sous ce charme évident et immédiat, l’artiste interroge l’histoire de son pays ses défis actuels environnementaux, politiques et sociaux, mêlant réalité et imagination, contes anciens et rappels de la littérature. Elle remet en mémoire ce qu’on veut oublier, et en même temps, elle infuse dans la violence du monde, la beauté des paysages ou l’imagerie des histoires orientales de fées.
L’exposition est centrée sur trois vidéos auxquelles elle ajoute joliment disposées sur les murs, comme des compléments aux films, des délicates aquarelles réalisées sur des feuilles de livres anciens, sur de la soie ou sur des supports enduits de laque.

La sieste des enfants
Mute Grain (2019) revient, dans une installation en noir et blanc avec trois écrans, sur la terrible famine qui tua en 1945, sous l’occupation japonaise, deux millions de Vietnamiens. Un rappel qui veut montrer que la sécurité alimentaire mise à mal mal par l’homme lui-même, reste fragile. Elle mêle dans son film des images de champs riches et d’autres images sur la famine. Elle mélange le rêve et le réel, le passé et le présent, la douceur des enfants et le drame du monde.
Sa vidéo est accompagnée d’aquarelles sur soie, racontant le Rêve de Mars et Août, les mois les plus pauvres du calendrier lunaire, une période de pénurie pendant laquelle les paysans doivent emprunter pour subvenir à leurs besoins.
Tropical Siesta (2017), en couleurs, sur deux écrans, reprend de manière ludique, rejouée par des enfants, des scènes de la colonisation ou des frondes à l’école. Les enfants y jouent à faire semblant pour égayer leur vie quotidienne, refont crime et châtiment en entravant leurs « prisonniers » au milieu des rizières ou racontent l’histoire de la déesse de l’eau. Parfois, ils se couchent sur les berges des rizières et font la sieste. « Ici, les enfants grandissent en rêvant », dit Thao Nguyen Phan.
La vidéo est inspirée d’un livre ancien sur le Tonkin, du XVIIe siècle, d’un Jésuite, Alexandre de Rhodes. Sur les pages de ce livre, l’artiste a peint des aquarelles pleines de beauté mais où parfois les enfants portent un fusil, ou sont sous une pluie de gravats, ou s’envolent du haut des barres d’appartements.
La vidéo Becoming Alluvium (2019) plonge dans l’immensité du fleuve Mékong, mais aussi dans ses enjeux de surpêche et de surexploitation. On y raconte l’effondrement d’un barrage noyant un village, les réincarnations en dauphin du Mékong et en jacinthe d’eau (une plante particulièrement invasive qui menace de tuer le Mékong), et, comme dans tout son travail, Thao Nguyen Phan s’immerge aussi dans la littérature (L’Amant de Duras, Kawabata) et mêle aux images vidéo, un conte dessiné et animé.
Thao Nguyen Phan, au Wiels, Bruxelles, jusqu’au 26 avril