A Saint-Gilles, plongée troublante et sublime dans l’imaginaire de Jan Fabre
Artiste radical, Jan Fabre innove depuis plus de 40 ans sur la scène contemporaine internationale. Plasticien, auteur et homme de théâtre, cet enfant terrible et provocateur impressionne autant qu’il désarçonne. Inclassable, Jan Fabre a traversé (et ce n’est d’ailleurs pas tout à fait terminé) sa propre "Période bleue".
Publié le 05-02-2020 à 11h53 - Mis à jour le 11-02-2020 à 16h50
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Dessins de 1988 et sculptures de 2018 partagent les mêmes préoccupations : le déchaînement météorologique et ses conséquences dramatiques.
Artiste radical, Jan Fabre innove depuis plus de 40 ans sur la scène contemporaine internationale. Plasticien, auteur et homme de théâtre, cet enfant terrible et provocateur impressionne autant qu’il désarçonne. Inclassable, Jan Fabre a traversé (et ce n’est d’ailleurs pas tout à fait terminé) sa propre "Période bleue".
La série de dessins présentée pour la toute première fois chez Templon a été réalisée à Berlin, à la fin des années 80. Passant ses nuits d’insomnie à travailler, l’artiste compose de manière obsessionnelle son territoire nocturne et personnel. De beaux grands formats métaphoriques et tourmentés.
"J’ai fait ces dessins sur le sol de mon atelier à la Künstlerhaus Bethanien, à l’époque à Berlin-Ouest. En tant que jeune artiste, j’ai réalisé beaucoup de dessins avec le stylo à bille bleu Bic. C’était un matériau bon marché et très facile à trouver. J’aimais autant la qualité chimique qu’esthétique du Bic, avec sa couleur bleue industrielle sans valeur ‘noble’. Aussi, la composition de l’encre contient une sorte de gélatine argentée que l’on retrouve en photographie. Cette substance donne au dessin une certaine fluidité." (Jan Fabre)
À l’époque, il vend au même collectionneur toute sa série pour un montant dérisoire. À trente ans, l’artiste était déjà extrêmement content d’observer de l’intérêt pour son travail et de recevoir un budget pour créer de nouvelles œuvres.
Trois décennies plus tard, la galerie Templon présente en exclusivité cette série. Un privilège ! Pendant longtemps, Jan Fabre avait perdu la trace de ces œuvres. Et ce n’est pas étonnant : à l’époque, on était peu regardant quant à l’enregistrement (localisations et acquéreurs) des pièces vendues. Et les galeristes n’étaient pas aussi organisés qu’aujourd’hui. Qu’importe ! La série est réapparue… Une providence !
"Au décès du collectionneur, les enfants m’ont contacté, comme cela arrive souvent, car la famille n’était pas intéressée par la collection. Ils me l’ont proposée directement et j’en suis très reconnaissant. Ce fut une découverte très belle et passionnante. Aussi, j’étais agréablement surpris d’observer à quel point le propriétaire en avait pris soin. Précieusement conservés dans une caisse, ces dessins (non-encadrés) n’avaient jamais vu la lumière du jour. Cela explique leur état de conservation absolument exceptionnel." (Jan Fabre)

L’œil du cyclone
Impressionnant à souhait, chaque dessin nous apparaît comme l’aboutissement d’une performance solitaire. Une entreprise extrême, proche de l’épuisement, qui s’inscrit à merveille dans la démarche de cet artiste qui interroge très régulièrement les limites de son corps. "Ce genre de création appelle l’implication de tout mon corps. C’est un processus à la fois très physique et très mental, mais offrant en contrepartie une grande énergie et une réelle liberté."
Sur le papier, l’artiste livre une cosmogonie faite de tornades, de cyclones, de vagues géantes, d’orages… Des phénomènes météorologiques qui se déchaînent.
Cette série prémonitoire, exhumée du passé, entre en dialogue avec une production plus récente : des crânes humains en verre de Murano recouverts d’empreintes de mains enduites d’encre bleu (extraites des mêmes Bics que les grands formats aux cimaises). La substance forme une sorte de peau qui, tour à tour, couvre ou dévoile, reflète la lumière ou obscurcit la vision. Ces pièces uniques sont envahies de petits squelettes (fauconneau, crocodile du Nil, espèces d’échassiers, hamster syrien, tenrec…). Une façon de souligner notre inéluctable destinée, encore exacerbée par cette double finitude. Une série pessimiste qui n’est pas sans évoquer les espèces animales déjà décimées. Cette notion de métamorphose - incarnée par les ravages du temps qui passe sur les êtres vivants et sur l’environnement - traverse toute sa production. Aussi, ces œuvres prennent, avec les représentations de déchaînements climatiques en arrière-plan, une dimension encore plus apocalyptique. Un dialogue entre les limites de la nature humaine et nos hantises environnementales actuelles (climat et extinction de masse en tête).
Voilà une sublime exposition qui devrait voir défiler une foule de nostalgiques et d’aficionados de cette somptueuse période bleue dont on ne se lasse pas.
Jan Fabre. L’Heure Sauvage Dessins et sculptures Où Galerie Templon, rue Veydt 13A, 1060 Saint-Gilles www.templon.com Quand Jusqu’au 22 février, du mardi au samedi de 11h à 18h.

En bref
La nuit rencontre le jour : le titre de l’exposition "l’Heure Sauvage" renvoie à cette "Heure bleue" définie par l’entomologiste Jean-Henri Fabre. Elle évoque ce moment décisif bien qu’éphémère, entre deux univers : un passage magique, quand la nuit rencontre le jour. Cet instant où tout se métamorphose, tout semble possible, tout revit. Une quasi-obscurité se traduisant au sein des 1001 nuances de bleu recouvrant ces feuilles de papier qui semblent être malmenées. Et pour cause : l’investissement physique est à ce point remarquable que certaines surfaces, sur lesquelles ce bleu métallisé et magnétique forme une masse si intense, semblent sur le point de se déchirer.
Bio Express : né en 1958, Jan Fabre vit et travaille à Anvers. Grand écrivain de nuit et dessinateur, il crée des sculptures et des installations qui explorent les thèmes récurrents de la métamorphose, le dialogue entre art et sciences, le rapport de l’Homme à la nature, l’artiste comme guerrier de la beauté. Parmi ses expositions les plus marquantes des dernières années : le Musée du Louvre (2008), le Kunsthistorisches Museum de Vienne et le Musée d’art moderne de St-Étienne (2011), l’Ermitage à St-Pétersbourg (2016), la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence (2018)… À l’agenda, on notera que le musée des Beaux-Arts d’Arras lui consacrera une exposition du 2 mars au 4 mai 2020.
Au musée : ces dernières années, Jan Fabre est revenu au Bic bleu. Les amoureux de cette technique de création peuvent en voir des exemples non loin de l’espace bruxellois de la galerie Templon, aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique avec "Le regard en dedans (L’Heure Bleue)", une installation permanente créée pour l’escalier royal du musée d’Art ancien en 2011-2013.