Quelles expos sont prolongées, repoussées? Les musées remettent en cause les "folies" de l’art
Comment nos musées réagissent à la crise et à leur fermeture provisoire. Premier coup de sonde.
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Publié le 02-04-2020 à 13h33 - Mis à jour le 06-04-2020 à 11h11
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Comment nos musées réagissent à la crise et à leur fermeture provisoire. Premier coup de sonde.
Quand nos musées ont dû brusquement fermer le 13 février, une première question a été celle de la programmation des expositions. Ceux qui avaient des expos au long cours peuvent espérer les rouvrir dès que possible, comme le Mac’s avec Matt Mullican (fermeture prévue le 18 octobre) et le BAM de Mons dont l’expo L’école de Mons est prévue jusqu’au 16 août.
D’autres dont les expos ont été arrêtées en plein vol font le choix de les prolonger pour les rouvrir quand ce sera possible. La très forte expo Wolfgang Tillmans au Wiels serait prolongée jusqu’à la mi-aout. L’expo Toutankhamon à Liège-Guillemins est prolongée jusqu’au 30 août. Le BPS22 à Charleroi dont l’expo Latifa Echakhch avait bien démarré, la prolonge aussi jusqu’à fin août. Idem au musée de la photographie où l’expo René Magritte, les images révélées, sur Magritte photographe, est prolongée jusqu’au 20 septembre. Son directeur Xavier Canonne devait l’exporter cet été en Italie mais ce fut annulé par la crise. Au Civa, l’exposition 7 Arts qui devait se terminer début juin devrait être prolongée jusqu’à la mi-août.
Ces prolongations nécessitent souvent de réétudier toute la programmation future. Pas de souci au Mac’s dont l’expo de l’automne sur Johan Muyle est confirmée (le directeur Denis Gielen travaille aussi pour l'instant à une importante monographie de l’artiste). Au Wiels, l’expo de juin sur Jacqueline de Jong est reportée et on prépare la grande expo de septembre Risquons-tout.
Pour le BPS22, l’expo d’été sur la collection du musée pouvait être annulée mais pour la suite, son directeur Pierre-Olivier Rollin doit suivre l’évolution possible d’expositions prévues ensuite, de Laurence Dervaux, et puis de Julien Prévieux et Margaret Harrison.
Le BPS 22 avait monté une expo, d’abord prévue pour cet été au Centre Wallonie-Bruxelles, sur le Mail Art en Belgique francophone, mais son ouverture prévue à Paris trois jours après le début du confinement a dû être annulée.
Xavier Canonne aussi doit revoir tout son calendrier des deux ans à venir pour étudier cas par cas la possibilité de changer les dates.
Kanal repousse à septembre
Les événement prévus ces mois-ci sont parfois repoussés. A Kanal-Centre Pompidou, les sept mois de résidence, expos et événements de John Armleder dans le bâtiment en rénovation ont dû être repoussés à septembre. On n’a pas encore une idée de l’impact du confinement sur la date d’ouverture de Kanal rénové prévue en 2023. Le futur musée des manuscrits des ducs de Bourgogne qui devait s'ouvrir le 15 mai sous le nom de KBR Museum à la Royale est reporté au 18 septembre.
Au musée Adam de design à Bruxelles, l’expo prévue sur les Chaises est reportée à fin septembre. L’expo Xavier Noiret-Thomé – Henk Visch à la Centrale prévue en avril est reportée à une date non précisée encore, comme l’expo Oscar Murillo au Dhondt-Dhaenens.
Il faut aussi gérer l’impact économique et social. Il est encore trop tôt, avec trop d’inconnues, pour chiffrer les pertes mais elles sont inévitables (moindres rentrées, horeca et shops fermés, annulations, etc.). La situation sociale est très variable selon les statuts. Au BPS22, le personnel (22 personnes) dépend de la province du Hainaut et est en télétravail avec équipes de garde. Au musée de la photographie (35 personnes), une partie est en télétravail une autre en chômage économique et une autre encore chargée de veiller au musée lui-même. Au Mac’s, on perdra la venue de 3000 enfants prévus ce mois-ci, le manque à gagner total y est de 15000 euros par mois de fermeture et la crise intervient au plus mauvais moment quand la situation du Mac’s était déjà fragile. Au Wiels, la fermeture fait perdre 50000 euros par mois (qui s’ajoutent aux coupes de Jan Jambon)
Les musées tentent tous de maintenir le contact avec leur public en multipliant les activités en ligne. Mais P.-O. Rollin met en garde: "Bien sûr, il faut garder le contact, donner à voir et à entendre, mais il faut faire attention à ne pas tout montrer, ne pas faire des visites virtuelles car il faut inciter les gens à revenir vite vers les musées, voir les oeuvres en vrai et à ne pas croire qu’on peut se contenter d’Internet. C’est comme pour le strip-tease: l’art est de ne pas tout montrer pour mieux susciter l’envie."
Xavier Canonne partage cette crainte d’autant, estime-t-il, que les gens, une fois sortis du confinement iront d’abord se balader et aller sur les terrasses. "Je ne crois pas que la visite des musées sera leur première priorité."
Non aux "mégas"
Les musées réfléchissent aussi à l’impact à long terme sur leur métier de cette crise qui se cumule à la crise climatique. Xavier Canonne rappelle la phrase du galeriste Albert Baronian qui constate et regrette depuis longtemps que "le marché de l'art avait pris le pas sur l'histoire de l'art. Les foires et les méga-événements ont remplacé les musées, dit Canonne. Le public des foires d’art a l’impression en visitant une foire et voyant 4000 oeuvres en une journée qu’il a compris l’histoire de l’art. Le public picore et est plongé dans l’événementiel, le festif, l’urgence, dans ce qui se doit d’être convivial. Il nous faut davantage méditer et réfléchir à cette course à la consommation de l’art qui est devenue comme dans un supermarché."
C’est l’idée d’un slow art nécessaire comme la philosophe Isabelle Stengers parle de la nécessité d’une slow science.
P.-O. Rollin abonde en ce sens. "Nous avons baigné ces dernières années dans un monde d’hyper-foires, des Biennales multiples (il y aurait 267 biennales et triennales d’art contemporain), d’hyper-musées et hyper-expositions pour attirer un public venu de loin dans une méga-mobilité. 600000 visiteurs viennent à la Biennale de Venise, où les yachts de milliardaires font la file, où on propose une expo folle de Damien Hirst. Il nous faut réfléchir à privilégier plutôt des circuits courts de production et de visite. C’est une opportunité pour les musées plus petits, plus locaux qui ont déjà développé un public local comme nous l’avons fait à Charleroi quand on a vu que le public bruxellois était de plus en plus sollicité par une offre d’art contemporain très importante dans la capitale."
Le journal Médiapart a publié un intéressant article sur l’avenir des Biennales (Biennales fin de partie?). Dirk Snauwaert (Wiels) y explique: "Le modèle des grandes biennales en ces temps de crise climatique doit être drastiquement repensé. L’économie de notre milieu doit s’adapter." Emma Lavigne, la nouvelle directrice du Palais de Tokyo disait dans le même article: "Il faut mettre l’argent dans le travail des artistes et se garder d’alimenter une course en avant dans la spectacularisation de l’art."
Dirk Snauwaert: "Il y avait beaucoup de superficialité dans notre milieu souvent basé sur le superficiel. Il faut se poser désormais des questions quand on verra disparaître demain des artistes, des galeries, des petits intermédiaires : faut-il conserver encore toutes ces foires d’art, ces canaux de distribution qui servent à faire du profit. Il y a en sept à Bruxelles, sept à Bâle. Il faudra comme Jérôme Bel l’a montré dans la danse, réfléchir à la durabilité dans l’art: on y voyage trop, on y consomme trop, l’art est devenu trop concentré aux mains de quelques uns comme les Gafa concentrent le monde digital. Il faudra revenir à un monde plus lent, à des circuits plus courts. Au Wiels, on n’a jamais cherché le prestige international et jamais oublié nos voisins proches."