Exit, l'exposition de l'artiste-philosophe Kris Martin qui vous invite à sortir
Belle exposition Kris Martin. Ses gestes touchent aux grandes questions de la vie et de la mort.
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Publié le 19-05-2020 à 07h57
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Belle exposition Kris Martin. Ses gestes touchent aux grandes questions de la vie et de la mort.
Kris Martin (né en 1972 à Courtrai, vit à Mullem près de Gand) est le plus poète et le plus philosophe de nos artistes. Depuis vingt ans, exposé souvent dans le monde, il crée des œuvres parfois microscopiques, parfois macro, en opérant simplement de petits déplacements du quotidien. Mais, par cet écart, ce presque rien, il parvient souvent à susciter des courts-circuits dans nos perceptions et à toucher les grandes questions de la vie et de la mort, de la fugacité des choses, de l’éphémère de nos existences.
Le Smak à Gand lui offre une première rétrospective qui se prolonge devant la cathédrale où il a placé Altar, sa version de l’Agneau mystique posée en général à Ostende face à la mer. C’est le cadre exact du polyptyque, mais vide, sans les peintures, encadrant la vue de la mer, et ici de Gand. Sur la tour de Saint-Bavon, on peut voir son Crucifix où Jésus replie ses mains devant ses yeux pour ne plus voir les horreurs du monde.
"Je ne peux résoudre les problèmes du monde, explique Kris Martin, mais je peux les toucher, m’en rapprocher avec cette touche si belge que j’aime, qui mêle mélancolie et humour."
À l’entrée du Smak, au-dessus du comptoir, une de ses œuvres interpelle depuis des années : un tableau noir d’aéroport pour annoncer les vols, mais qui tourne fou et n’annonce rien. Cette œuvre reste très vraie à l’heure du coronavirus et des crises migratoires.
L’exposition semble à première vue très vide, il faut bien observer et lire le petit guide du visiteur, pour que la force du geste de Kris Martin se révèle. La première salle est couverte de confettis de bronze que les gens peuvent lancer en les puisant par poignées dans des seaux (400 kg de bronze). "Les confettis de papier passent et nous restons. Ici, les confettis en bronze resteront même quand nous aurons disparu."
Plus loin, derrière une vitre, sur le sol, à peine visible, une humble mouche morte, mais en or, hommage aux maîtres flamands de jadis qui aimaient placer des insectes dans leurs tableaux.
Exit
Kris Martin a intitulé son exposition Exit, car, dit-il, "c’est une fenêtre ouverte sur d’autres choses, il est positif de sortir". Le crâne en bronze argenté posé sur un socle, est le sien. À l’intérieur, il a gravé "Still alive", "toujours en vie". "Comme cela, une fois mort, je vivrai encore."
La grande salle du Smak est occupée par une série de barrières automatiques comme on en voit partout dans notre environnement. Elles s’ouvrent et se ferment régulièrement, sans logique, image de nos sociétés où ne cessent de s’ériger de nouvelles barrières.
Son personnage littéraire favori est L’Idiot de Dostoïevski, "celui qui est poussé par la compassion et court alors au désastre, c’est Jésus, le Juif errant". Il le synthétise, par exemple, par un grand vase chinois qu’il a acheté, cassé, réparé, recassé, etc. Et il le montre reconstitué, mais plein de cicatrices, à l’image de nos vies.
Kris Martin aime jouer avec les échelles. Il a placé deux microscopes aux balcons du Smak qui permettent de voir les visiteurs à l’entrée, réduits à la taille de fourmis. Plus loin, c’est l’inverse, il a posé une immense épée qui prend toute la salle ("Qui pourra s’en emparer ?"). Et, absurdement, une vraie montgolfière est en train d’être gonflée pour terminer le parcours et nous amener peut-être vers d’autres exits.
L’idiot
Kris Martin aime revisiter l’histoire de l’art comme dans son Laocoon, réplique exacte de l’original, sauf qu’il a enlevé le serpent et que les visages effrayés de la famille semblent brusquement contemporains, exprimant la peur d’un monde filant dans le mur.
Dans les jardins de l’hôpital psychiatrique de Duffel, il a planté un bosquet de saules, serrés les uns contre les autres. Et, à bonne distance, seul dans la pelouse, il a ajouté un saule pleureur comme s’il était exclu du groupe, pour un échec. Dans quelques années, ces arbres grandiront et le saule pleureur, parce que seul, se développera bien tandis que les saules en bouquet souffriront d’une promiscuité qui les prive de lumière. En un geste, Kris Martin montre que l’artiste qui échoue, l’idiot, le "malade", peut connaître paradoxalement plus de réussite.
Kris Martin, au Smak, jusqu’au 3 janvier 2021.