Défrichage en trois temps d’un monde en désordre

En 2009, Denis Laujol révélait à l'Océan Nord "Mars", sa première mise en scène, adaptée du roman de Fritz Zorn autour duquel Georgina Tacou articule l'un des pans de son roman.
En 2009, Denis Laujol révélait à l'Océan Nord "Mars", sa première mise en scène, adaptée du roman de Fritz Zorn autour duquel Georgina Tacou articule l'un des pans de son roman. ©Jacques Verres

De la littérature comme une loupe ou un filtre, sous la plume protéiforme de Georgina Tacou.

"Ce que Fritz me rappelle, c’est qu’il n’est jamais trop tard. Car par la révolte, il s’incarne enfin, celui qui a toujours eu la sensation d’être un spectre."

Fritz, c’est Fritz Zorn (colère), pseudonyme de Fritz Angst (peur), auteur suisse (1944-1976) d’un roman unique - dans tous les sens du terme : le seul de sa plume, mais aussi sans équivalent.

Le livre culte d’un écrivain-comète

Autour de Mars, Georgina Tacou articule le premier pan de son roman-triptyque. Sa narratrice Flora décortique sa fascination pour ce livre culte d’un écrivain-comète (Zorn écrit Mars en se sachant condamné par la maladie), "ce livre écrit par un mort qui m’a sauvé la vie, qui a choqué les esprits et prend maintenant la poussière dans les bibliothèques des psychiatres et des amoureux de la littérature et du désordre".

Sur une ligne du temps ponctuée d’événements géopolitiques, Flora égrène de brefs épisodes de sa vie qui commence tandis que Fritz va au devant de sa propre disparition.

Le second pan du triptyque donne son titre à l’ensemble. L’Évangile des égarés voit Flora entrer au Refuge, hôpital psychiatrique si à Merveil-sur-Arc. "Ici le royaume des désœuvrés : des patients qui patientent, ceux que la vie a alourdis, que le monde a affolés […] ". Polyphonique, ce chapitre donne voix tour à tour à Flora, Alexia, Vasco, Judith, François, Karim. "Chacun ici se raccroche à quelque chose, à sa clope, à un sou venir, aux couleurs d’un amour qui fut", décrit l’une. "L’Ange frôle les égarés de ses ailes métalliques, il est comme nous, ébranlé, mais il n’a pas encore capitulé", exprime l’autre. Ici, indique une autre encore, "on n’a pas besoin d’expliquer l’indicible, on sait".

Ils cohabitent, coexistent, communiquent. Leurs solitudes et leurs tourments se frôlent. Ils s’observent, et dans cet exercice la romancière façonne un faisceau de regards croisés.

Changement de focale

Et puis le ton change, un nouveau regard fait son apparition, une voix distincte dans le troisième volet : Le Fils. Réfractaire aux technologies, témoin tendrement amusé du lien de ses parents pourtant séparés de longue date, Vladi "avance sur une terra incognita, sans GPS mais sachant [se] servir d’une boussole", et brosse de Flora un portrait mi-enjoué mi-désabusé.

Actrice et scénariste, proche du monde de l’édition, et écrivaine assurément, Georgina Tacou signe avec Évangile des égarés un roman de l’intime et de l’audace, qui convoque la psychanalyse, triture la littérature, fouille les recoins du couple, de la parentalité, de l’éducation, de la filiation. Un roman non pas à tiroirs mais à portes multiples, entrouvertes, grinçantes, dévoilant avec élan et singularité les matériaux d’un parcours composite.

Évangile des égarés Roman De Georgina Tacou, Gallimard | L’Arpenteur, 198 pp., Prix env. 18 €, version numérique 12,99 €

Défrichage en trois temps d’un monde en désordre
©IPM
Défrichage en trois temps d’un monde en désordre
©IPM
Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...