Deux chefs-d’oeuvre de Van Eyck, à admirer dans l’intimité, les yeux dans les yeux
Pour l’année Van Eyck, le musee Groeningen de Bruges, rénové, vous dit tout sur ses deux chefs-d’oeuvre.
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Publié le 22-05-2020 à 08h03 - Mis à jour le 29-05-2020 à 09h15
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Pour l’année Van Eyck, le musee Groeningen de Bruges, rénové, vous dit tout sur ses deux chefs-d’oeuvre.
Vous pouvez admirer, regarder, presque toucher, comprendre le Portait de Margareta Van Eyck et la Vierge au chanoine van der Paele. Un pur plaisir.
C’est le propre des plus grands artistes de pouvoir être admirés sans cesse sans jamais lasser. Même ceux qui ont eu la chance de voir la grande exposition Van Eyck à Gand avant qu’elle ne ferme prématurément, trouveront plaisir à découvrir cette exposition Van Eyck à Bruges, petite, intime et néanmoins magnifique.
Il n’y a que deux salles à visiter, et deux tableaux de Jan Van Eyck, mais ce sont des chefs-d’oeuvre absolus qu’on peut détailler de tout près, les yeux dans les yeux des personnages, dans une intimité soufflante. Il y a là, peints il y a près de 600 ans, le Portrait de Margareta van Eyck l’épouse du peintre, le premier portrait dans l’histoire de l’humanité qu’un peintre connu ait fait de sa femme. Jusqu’alors les portraits étaient réservés aux seules reines.
On peut surtout, confortablement assis dans un fauteuil, regarder à satiété La Vierge au Chanoine Joris van der Paele le plus grand tableau de Jan Van Eyck après l’Agneau mystique.
Deux tableaux seulement, à l’opposé de ces expos interminables ? C’était le rêve d’Umberto Eco de faire des expositions de ce type, où on peut s’emplir d’une oeuvre. Et suivre le précieux conseil que prodiguait déjà le neurologue Charcot: « Regarder, regarder, regarder toujours, c’est ainsi seulement qu’on arrive à voir. »
L’affreuse crise sanitaire et le confinement ont ce résultat rarissime de nous offrir Bruges vide sous le soleil, d’y réentendre les chants des oiseaux et les cris des mouettes plutôt que les bruits de la foule des touristes, de pouvoir y redécouvrir la beauté des maisons anciennes et des ruelles désertées, de redécouvrir quasi seul (sur réservation en ligne avec créneau horaire) le riche musée Goeningen rénové et son exposition Van Eyck à Bruges.

The place to be
Elle ne couvre que deux salles, chacune centrée sur un tableau. Mais on y trouve aussi de nombreux documents authentiques d’époque qui montrent où Jan Van Eyck vivait et quelles activités il exerçait à Bruges.
Né en 1390, ayant longtemps travaillé à Gand où il réalisa l’Agneau mystique, il était venu habiter à Bruges en 1431 pour devenir peintre à la cour de Philippe le Bon installé au Prinsenhof. C’est là qu’il rencontra son épouse Margareta. Il y acheta une maison et y installa un vaste atelier où ses élèves et assistants peignaient autour de lui et l’aidaient à préparer les pigments et à peindre les grandes compositions. L’exposition éclaire cet atelier qu’on peut comparer à ceux, aujourd’hui de Jeff Koons ou Damien Hirst.
Peintre flamand le plus célèbre de son temps, le plus courtisé, il était venu à Bruges pour rejoindre des riches clients potentiels. Bruges était The place to be. C’est là qu’il peignit en 1434, le couple Arnolfini, ces grands banquiers italiens installés en Flandre, dans un tableau inouï appartenant à la National Gallery. Il faut lire à son sujet le merveilleux livre de Jean-Philippe Postel, L’affaire Arnolfini (Actes Sud), passionnant thriller pictural.
Bruges s’était lancée dans la production de biens de luxe, comme l’orfèvrerie, les manuscrits enluminés, la dentelle, les tableaux... Autant de biens qui seront exportés aux quatre coins de l’Europe.
Margareta
C’est aussi à Bruges, que Van Eyck trouvait toutes les matières utiles à son art, comme l’ambre venu de la Baltique dont Bruges avait le monopole pour en faire des chapelets et qui était aussi utilisé comme siccatif, pour accélérer le séchage de la peinture. On y trouvait aussi l’indigo venu de Gênes, les brocarts de Lucques, le lapis-lazuli qui fournissait un pigment bleu vif extrêmement précieux. Des vidéos, des objets, des panneaux, expliquent tout cela et on peut alors revenir régulièrement voir les oeuvres même.
Van Eyck vécu à Bruges de 1431 à sa mort en 1441. Il reçut des commandes de la ville. On détaille une d’entre elles. Un conflit avait opposé alors Bruges à la ville de Sluis en 1434. Celle-ci fut condamnée à offrir à Bruges huit sculptures à placer sur l’hôtel de ville et c’est Jan Van Eyck qui eut la commande pour réaliser leur polychromie et leur dorure. Un manuscrit précise qu’il reçu 30 livres de Flandre pour ce travail. Hélas, il ne reste rien de ces oeuvres.
Le Portrait de Margareta van Eyck, date de 1439. Jan van Eyck avait créé la surprise en prenant sa propre femme comme sujet avec cette curieuse coiffure d’époque faite de deux cornes sur le front. La fonction précise de ce portrait n’a pas pu être déterminée, mais il est certain qu’il n’était pas destiné à être exposé dans un musée et devait être accroché dans le salon de l’artiste. C’est Margareta qui dirigea l’atelier du peintre après sa mort, avec le concours du frère de Jan, Lambert Van Eyck. L’expo montre le dessin sous-jacent, les couches de peinture analysées au scan, explique les remords du peintre.

Le riche prélat
La Vierge au Chanoine Joris van der Paele influença toute la peinture flamande ultérieure (dont Memling et Gérard David) et fut exécutée entre 1434 et 1436. C’était une commande de Joris van der Paele, chanoine de l’église collégiale Saint-Donatien de Bruges (église aujourd’hui disparue). Joris van der Paele fut un fidèle serviteur de l’Eglise installé à Rome à la cour pontificale, où il travailla longtemps, mais sans jamais omettre de servir aussi ses propres intérêts qui le rendirent immensément riche. Il manoeuvra en vain pour devenir évêque et revint à Bruges, vite malade et atteint d’un cancer. Il s’attela alors à préparer sa « vie éternelle ».
Il fonda pour cela, ce qu’on appelle une « chapellerie ». Il voulait qu’à perpétuité, jusqu’à la fin des temps, une messe y soit célébrée chaque jour pour son âme et que sa tombe soit aspergée chaque jour d’eau bénite. C’est dans cette chapelle qu'était accroché ce grand tableau qui célébrait à la fois la piété du chanoine et sa puissance. Car très rares étaient ceux qui pouvait commander une telle oeuvre à Jan Van Eyck, la star de son époque. Le tableau était un signe de sa réussite sociale. Jan Van Eyck était fier de cette oeuvre, la signant sur le cadre et se représentant lui-même, petite figure en reflet sur l’armure de Saint Georges à l’extrême droite du tableau.
Le chanoine est peint avec tant de précision que les médecins d’aujourd’hui peuvent diagnostiquer exactement ce dont il souffrait alors ! Au centre du tableau, Jésus offre un bouquet de fleurs à sa mère tandis qu’il tient dans sa main une perruche à collier. A droite la grande figure de Saint Georges de Cappadoce et à gauche le visage sévère de Saint Donatien.
Grâce à de nouvelles technologies de pointe, on montre sur les murs de la salle les dessins sous-jacents du tableau et comment Van Eyck faisait ses esquisses au crayon et fit évoluer la position des mains.
L’expo présente aussi une acquisition récente du Groe- ningen, l’œuvre d’un collaborateur de Van Eyck, peinte aux environs de 1450, et qui montre à la fois l’influence de Van Eyck et la distance qui demeure entre le tableau du maître et celui de ses élèves.
Il faut profiter de cette exposition et du calme actuel -presque irréel- pour revoir tous les trésors du musée et, dans ce cas, ses primitifs flamands. Un régal.
>>> Van Eyck à Bruges, au Groeningenmuseum, jusqu'au 6 septembre