Comment Rodin, Meunier et Minne s’inspirèrent du Moyen Âge pour réinventer la sculpture
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Publié le 24-05-2020 à 09h08 - Mis à jour le 24-05-2020 à 09h09
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Cette très belle exposition au Musée M de Louvain débute et se termine par deux salles qui résument bien le propos en dressant des parallèles convaincants entre des sculptures de Rodin (1840-1917), Constantin Meunier (1831-1905), Georges Minne (1866-1941) et du Moyen Age.
Ces trois grands sculpteurs qui réinventèrent leur art à la fin du XIXe siècle en l’extrayant des contraintes de la Renaissance et du Classicisme pour donner une nouvelle expressivité, furent tous les trois fascinés par le Moyen Âge. Ils s’en inspirèrent pour mieux exprimer les sentiments universels de la douleur et de la perte. Avec une beauté soufflante.
Dans la première salle, quatre sculptures sont alignées, toutes avec un personnage assis sur une pierre. On y voit un Christ de piété du XVe siècle de Jean II Borman, assis sur une « pierre froide » au sommet du Golgotha attendant le dernier supplice. Son corps décharné et son regard épuisé montrent son infinie souffrance.
A côté, on trouve Le Puddleur de Constantin Meunier (1886). Cette oeuvre célèbre montre un ouvrier sidérurgique chargé de la dangereuse tâche de remuer la fonte brûlante. Il se repose un instant, épuisé par le travail. La thèse du co-commissaire de l’expo Peter Carpreau est que Meunier qui connaissait bien l’art du Moyen Age, montre ainsi un Christ moderne se sacrifiant pour la modernisation de la Belgique comme le Christ se sacrifia pour l’humanité.
Le Penseur s’ajoute, assis lui aussi sur une pierre. Rodin se passionnait pour l’art du Moyen Âge ayant sillonné la France pour étudier les cathédrales dont il fit un livre à la fin de sa vie. Le Penseur devait surmonter la Porte des enfers et une version se retrouve par exemple sur une tombe du cimetière de Laeken.
Georges Minne n’a jamais caché son admiration pour la sculpture gothique de la fin du Moyen Âge. On voit, assise elle aussi, une femme serrant contre elle ses deux enfants (1888). Oeuvre poignante et splendide.
Non seulement les parallèles formels entre ces quatre sculptures sont évidents mais aussi leur même souci d’exprimer la douleur de l’humanité.
Les Pleurants
La dernière salle de l’exposition conforte ces similitudes en s’intéressant à la figure des Pleurants. On se souvient de la sublime exposition que Laurent Busine avait montée en 2012 à l’hôpital Saint-Jean, à Bruges, avec les 37 Pleurants du tombeau de Jean sans Peur à Dijon, des statues d’albâtre de 40 cm formant un cortège d’une beauté, d’un raffinement et d’une qualité uniques. On retrouve à Louvain des Pleurants venus de la tombe de Philippe Le Hardi (Rodin en possédait un dans sa collection personnelle, venu de la tombe du duc de Berry).
Ils inspirent directement Les trois saintes femmes au tombeau de Georges Minne (1896) et les célèbres Bourgeois de Calais de Rodin (1884) avec les figures au chagrin si fort d’Eustache de Saint-Pierre, Pierre de Wissant et Andrieu d’Andres. Des Pleurants réinventés par Rodin, posés à même le sol, sans socle. Rodin y représente l’expression brute des émotions humaines sans souci d’une beauté artificielle.
Jésus et Madeleine
Une autre salle explique le renouveau d’intérêt pour le Moyen Âge tardif, né dans la seconde moitié du XIX siècle, et trois salles explorent chacun des sculpteurs.
Pour Constantin Meunier, le parallèle est éclatant entre la scène classique au Moyen Âge de La Déploration où la Vierge se penche sur le corps du Christ au tombeau, et Le Grisou (1888), sculpture réalisée par Meunier après l’explosion de grisou au charbonnage du Rieu du Coeur en 1887 qui tua 120 mineurs. Une mère, folle de douleur se penche sur le corps mort de son fils, allongé, décharné, nu sauf un simple pagne, avec des blessures sur le torse, comme une réplique du Christ mort d’Hans Holbein au musée de Bâle.
Ne manquez pas une stupéfiante sculpture de Rodin montrant le chagrin extrême de Madeleine au pied de la Croix. Un plâtre venu du musée Rodin (1894) la montre de dos, nue, sensuelle, se fondant littéralement sur le corps de Jésus, en Croix. La tête morte et penchée de Jésus semblant devenir la sienne.
Rodin, Meunier, Minne, trois visions du Moyen Âge, musée M à Louvain, jusqu’au 30 août, réservation obligatoire.