Christo et sa fabuleuse aventure de l’empaquetage du Pont-Neuf
Le Centre Pompidou à Paris rend hommage aux premières années parisiennes de Christo et Jeanne-Claude. Il consacre aussi une exposition-dossier au magnifique projet de l’empaquetage du Pont-Neuf en 1985.
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- Publié le 27-06-2020 à 09h00
- Mis à jour le 27-06-2020 à 09h14
![Le Pont-Neuf empaqueté (Projet pour Paris)] Mine graphite, pastel, fusain, crayon à la cire, impressions à l’encre et colle
Diptyque : 38 × 244 cm et 106,6 × 244 cm Collection de l’artiste](https://www.lalibre.be/resizer/Z-G63D6mKu4zDuafLyqJA4QjMuw=/1200x800/filters:format(jpeg):focal(1275x576.5:1285x566.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/GJBK36M7ZRGCHK26H4WV6WGYJA.jpg)
Le Centre Pompidou à Paris rend hommage aux premières années parisiennes de Christo et Jeanne-Claude. Il consacre aussi une exposition-dossier au magnifique projet de l’empaquetage du Pont-Neuf en 1985.
Le 1e juillet, le Centre Pompidou rouvrira ses portes après trois mois et demi de fermeture forcée. Les visiteurs pourront découvrir l’exposition Christo et Jeanne-Claude Paris ! préparée de longue date mais qui a acquis une émotion neuve à la suite la mort subite de Christo le 31 mai dernier à 84 ans.
L’exposition se concentre sur les premières années de Christo et sa femme Jeanne-Claude, alors habitant Paris, de 1958 à 1964, date à laquelle le couple partit vivre définitivement à New York.
L’exposition n’est donc pas une rétrospective de tout leur travail, mais un zoom passionnant sur la genèse d’une oeuvre auquel s’ajoute -et c’est une part essentielle- une exposition-dossier sur le projet majeur intervenu à Paris vingt ans après leur départ, et analysé sous toutes ses coutures, avec des centaines d’objets, dessins, photos et films : l’empaquetage du Pont-Neuf en 1985.
Ce projet explique en lui-même la démarche ultérieure du couple telle qu’elle sera appliquée à empaqueter le Reischstag ou à couvrir Central Park à New York. Avec un point commun: la toile qui enveloppe, cache, protège.

Film majeur
Il faut commencer le parcours par le merveilleux film (58 minutes) projeté au milieu de l’exposition, Christo in Paris, réalisé en 1990 par les frères Albert et David Maysles (visible sur Youtube). Les deux cinéastes ont suivi pas à pas le travail de Christo et Jeanne-Claude pour arriver à l’empaquetage du Pont-Neuf (Christo voulait qu’on parle d’empaquetage et refusait le mot d’emballage).
A voir le film, on comprend d’emblée que le ressort de leur oeuvre à l’ambition démesurée, se trouve dans le charisme irrésistible du couple: Christo et son accent d’immigré bulgare et Jeanne-Claude se démènent en rencontrant les habitants de Paris, les commerçants, les autorités pour les convaincre qu’empaqueter le Pont-Neuf pendant quinze jours serait un acte formidable.
Le Pont-Neuf serait recouvert de 41000 m² de toile polyamide de couleur grès doré, tenue par 13 km de cordes et 12 tonnes de câbles d’acier. La toile recouvrirait les côtés et les voûtes des douze arches du pont, les parapets, les bordures et les trottoirs, ses 44 lampadaires.
Une scène d’anthologie a été filmée dans le bureau de Jacques Chirac le maire de Paris. Celui-ci, grand amateur d’art aimerait dire « oui », mais il craint l’hostilité de ses administrés qui lui diraient qu’il vaut mieux dépenser cet argent à construire une crèche. Les Christo expliquent que comme dans tous leurs projets, ils s’autofinançaient en vendant des collages, dessins préparatoires et maquettes de leurs projets et ne demandant aucun financement public ou privé.
Finalement Chirac cède mais précise qu’il ne pourra marquer son accord officiel qu’après les élections à Paris en 1983, s’il les gagne. Un coup de pouce de Mitterrand et de Jack Lang aidera encore.
![Le Pont-Neuf empaqueté (Projet pour Paris)] Mine graphite, pastel, fusain, crayon à la cire, impressions à l’encre et colle
Diptyque : 38 × 244 cm et 106,6 × 244 cm Collection de l’artiste](/resizer/x-Moiomy0TRzPNG9g4N8SVd5WM0=/arc-photo-ipmgroup/eu-central-1-prod/public/S5VKD3X55FFF3BW6V4SEHXNP7I.png)
Un opéra
Le film devient un opéra sublime quand on suit l’empaquetage proprement dit: une gigantesque machinerie testée en atelier: avec cordes, poulies, contre-poids volumineux, montagnes de toile roulée, caisses pour protéger la toile de la chaleur des lampadaires. Avec une armée d’ouvriers agrippés à de filins comme des acrobates ou plongés dans l’eau de la Seine. Christo et Jeanne-Claude les surveillant depuis un petit bateau, criant leurs ordres. Il s’agit de bien disposer les plis, essentiels dans cette sculpture comme ils le sont dans la sculpture antique et classique.
Le film continue, une fois l’oeuvre achevée, interrogeant la foule des badauds qui hésitent entre interrogation, admiration et rejet. A un promeneur se demandant à quoi tout cela peut bien servir, un passant à cette belle réponse: « cette oeuvre fait que nous nous parlons, ce qui ne serait jamais arrivé autrement. » Christo expliquant une fois encore la beauté d’une oeuvre éphémère qui ne restera que gravée dans les mémoires: « C’est un principe résolument humain: rien ne dure éternellement et c’est là toute la beauté de la vie. »
Le film revient sur leur carrière. Il fit ses études aux Beaux-Arts de Sofia avant de fuir le régime communiste en 1957 pour arriver à Pris via Vienne et Genève. Il y rencontre Jeanne-Claude, née exactement le même jour et la même année que lui, fille d’une riche famille qui s’éprit de ce « pauvre Bulgare ». « Il m’a offert une vie excitante » déclare Jeanne-Claude avec amour.
Différent de Man Ray
La première partie de l’expo montre leurs oeuvres du début. Christo emballe de petites boîtes cylindriques qu’il place sur des étagères et qu’il intitule Inventaires. Il étudie la surface des choses en prenant des toiles d’empaquetage qu’il pose à plat, rigidifiant les plis par une laque. Fasciné par Pollock, il s’essaie à l’expressionnisme abstrait. Fasciné par le matiérisme de Dubuffet, il crée des peintures avec des cratères surgissant de la toile.
Mais vite l’empaquetage est sa marque. On a beaucoup glosé sur des allusions psychanalytiques possibles sur le refoulé et le caché, ou sur une filiation avec le surréalisme et avec Man Ray qui en 1920 avait créé « L’Énigme d’Isidore Ducasse ». Enroulés dans une couverture de feutre, ligotés par d’épaisses cordes à nouer, des objets étranges pointaient leurs brisures chez Man Ray. Le mystère était entier : que se cachait-il sous cette feutrine trop épaisse, qui noyait les contours et étouffait les bruits ?
Mais Christo refusait tous ces liens. Par rapport à Man Ray, ses empaquetages à lui sont tout différents ne cachant pas l’objet inclus mais au contraire révélant mieux ses lignes architecturales et sculpturales. Christo empaquette une table, une cheval de bois, une machine à écrire, une voiture d’enfants, sans cacher vraiment l’objet mais en révélant ses lignes de force à travers les plis de la toile et les lignes des cordes serrées.
Il s’agit de « rendre plus visible ce qu’on cache», de révéler autrement l’architecture, la forme. De renouveler notre rapport au volume d’un objet puis, plus tard, d’un bâtiment. De faire une oeuvre de pure beauté, étrange, sans autre signification que d’être là. "L'oeuvre d'art, c'est ce qui ne sert à rien", disait-il. Libre à chacun de vivre cette oeuvre comme il l’entend.
On montre aussi ses « vitrines », devantures de magasins aux vitrines cachées par des toiles.
Le premier projet d’art public que Christo et Jeanne-Claude réalisèrent fut de boucher complètement en une nuit, en 1962, le rue Visconti (choisie parce qu’elle est très étroite) avec un mur de barils colorés. Ils réagissaient ainsi à l’édification en 1981 d’un Mur au centre de Berlin. Ce fut une des seules interventions de Christo à porté politique même si en choisissant des barils couverts de taches de couleurs, il agissait aussi en peintre.

L’Arc de Triomphe
Toute la deuxième partie de l’exposition est donc un développement du projet du Pont-Neuf avec des photos magnifiques, des dessins et collages, des plans, des tas de cordages, étalés comme des sculptures.
Christo et Jeanne-Claude avaient d’autres rêves pour Paris qu’ils ne réalisèrent jamais comme d’empaqueter tous les arbres des Champs-Elysées. Mais celui auquel ils tenaient le plus devait se réaliser, avec eux, cet automne: l’empaquetage de l’Arc de Triomphe dont ils rêvaient depuis 1962 !
Jeanne-Claude est morte en 2009, Christo ce 31 mai, le covid-19 empêchait de faire l’empaquetage cet automne. Malgré ces trois coups du destin, le projet se fera bien du 18 septembre au 3 octobre 2021. Gageons qu’à nouveau des millions de personnes viendront le voir pendant ces 15 jours.
Un petit film est présenté, près émouvant, pris dans l’atelier de Christo à New York quelques mois avant sa mort. Alors que dans le film des frères Maysles il est d’une énergie électrique, là il accuse le poids des ans. Plié, fatigué, il n’en continue pas moins, avec la même envie de créer la beauté, à préparer son oeuvre ultime: son Arc de Triomphe.
>>> Christo à Paris, Centre Pompidou, du 1er juiller, au 19 octobre fermé le mardi.