Ernest Pignon-Ernest, substrats de l’éphémère
Comme autant de silhouettes fantomatiques rappelant la présence des hommes, les fascinants dessins d’Ernest Pignon-Ernest conservent la mémoire de notre temps.
Publié le 09-10-2020 à 14h54 - Mis à jour le 10-11-2020 à 11h50
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Après sa présentation - sensation ! - au Botanique, Ernest Pignon-Ernest est de retour à Bruxelles. Le lumineux espace de la galerie Laurentin réunit quelque soixante œuvres - photographies, dessins au fusain pierre et à l’encre noire - qui évoquent quelques-unes de ses grandes interventions des années 2000 : les "Extases", le travail dans les prisons avec "Ecce homo" et les "yoyos", complétés de réalisations sur les poètes Pasolini et Desnos.
Né à Nice en 1942, Ernest Pignon-Ernest a fait de la rue son principal lieu d’expression. En 1965, il commence à semer en extérieur pour réagir à l’implantation - sur le plateau d’Albion (soit à quelques kilomètres de son atelier du Vaucluse) - du centre de la force atomique de l’État français. Il frappe fort en réinterprétant au pochoir une photographie d’Hiroshima (un mur marqué des ombres portée d’un homme et d’une échelle). Une image marquante qu’il colle sur les rochers, les maisons et les arbres le long des routes menant aux silos de missiles.
En 1971, il imprime des centaines de sérigraphies pour le centenaire de La Commune qu’il placarde dans Paris. En 1980, suite à son intervention contre le jumelage de Nice et de Cape Town, le comité spécial des Nations Unies contre l’Apartheid le sollicite pour une affiche appelant à la libération de Nelson Mandela. Depuis, l’artiste ne cessera d’intervenir en extérieur, sur les murs de Paris, Naples, Alger, Nice, Ramallah, Soweto, Port-au-Prince… Une particularité qui lui vaut d’être considéré comme le père du street art. Parenté dont l’artiste se défend : "Très souvent, les street artistes disent qu’ils interviennent dans la rue car c’est la plus grande galerie du monde. La rue est pour eux un lieu d’exposition. Je ne suis pas dans cette démarche. Je cherche à transformer la rue en œuvre d’art. Mes images naissent du lieu. J’anticipe comment la lumière va circuler dans la journée, comment on va s’approcher de l’image, la texture du mur… Soit des problèmes très concrets de plasticien. Je travaille également sur le lieu à partir de son histoire. Soit tout ce qui ne se voit pas comme sa charge poétique, sa mémoire. Je m’intéresse au point de vue plastique et symbolique du lieu. Ces deux aspects nourrissent mon travail." (Ernest Pignon-Ernest) C’est une évidence : Ernest Pignon-Ernest n’investit pas la rue pour gagner en visibilité. Son œuvre ? La rue elle-même, habitée par ses images, révélée par la présence de celles-ci.
Mémoire des hommes
Ernest Pignon-Ernest réalise des œuvres qui tiennent de l’empreinte. Des traces de corps… comme celles que l’on observe aussi bien sur le suaire de Turin, dans les ruines de Pompéi, sur les murs d’Hiroshima. Autant d’ombres portées et de silhouettes fantomatiques qui exhument le souvenir des générations qui nous ont précédés.
Véritable constante, la question des violences faites aux hommes s’impose à lui comme une évidence. Ernest Pignon-Ernest dénonce. Il lutte contre l’hypocrisie en abordant les sujets brûlants de notre temps. Et s’il prend forcément position, son travail n’est cependant pas le fruit d’un engagement. "Ce qui suscite en moi un intérêt ou une réflexion, c’est ce qui touche à la vie des gens. J’ai envie d’interroger la société, ce qu’on inflige à notre époque ou dans les temps passés, ce sont les seules choses qui me motivent."
Caractéristique transversale de sa démarche ? Proposer des interventions - du papier dans la rue - qui partagent un caractère éphémère. "Cela témoigne bien de notre situation. L’éphémère est probablement l’expression, le témoignage des valeurs de notre société d’aujourd’hui. Des valeurs fragiles et sujettes à beaucoup de doutes et d’angoisse. […] Je suis d’ailleurs inquiet. Je crains que ce soit pire après, que l’on n’ait pas tiré les leçons de ces derniers mois."
Dans l’espace clos d’un musée ou d’une galerie, il dévoile les coulisses. Il expose sa démarche, toutes les facettes du processus : les dessins préparatoires, les étapes de la création, y compris les hésitations… "Je présente également des tentatives auxquelles j’ai renoncé. Il y a des attitudes de Pasolini que j’ai abandonnées car une fois dans la rue, ça ne fonctionnait pas." Ernest Pignon-Ernest expose également des photographies, comme autant de traces de son passage et de ses actions dans les lieux. Ces clichés, souvent pris au lendemain de leur collage, incarnent la mémoire visuelle de cette mise en espace dans des endroits choisis après de longs et patients repérages. Bien plus que de sublimes prologues, les œuvres qu’il livre ici font également figure d’épilogues de l’intervention in situ. Ces dessins et photographies que l’on observe en galerie sont à la fois substrats et reliquats.
Ernest Pignon-Ernest Dessin et photographie Où Laurentin Gallery, rue Ernest Allard 43, 1000 Bruxelles www.galerie-laurentin.com Quand Jusqu’au 14 novembre, du mardi au samedi, de 10h30 à 13h et de 14h à 18h30.
