Thomas Demand, l’illusion comme réalité
Exposition conceptuelle, assez pointue, à Louvain, du célèbre photographe qui analyse l’illusion d’une image.
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Publié le 11-10-2020 à 11h41
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Le musée M à Leuven (Louvain) propose de découvrir les oeuvres récentes du photographe allemand, conceptuel et minimal, Thomas Demand. Il sera aussi à Bozar pour une conférence le 22 octobre organisée par le magazine d’architecture A+. L’oeuvre de Demand étant en lien avec l’architecture.
Né en 1964 à Munich, vivant aujourd’hui à Los Angeles, Thomas Demand est un éminent représentant de l’école de la photographie objective allemande de Düsseldorf, inspirée par Bernd et Hilla Becher (et par Joseph Beuys).
Ses photographies où jamais n’apparaît un humain, volontairement non subjectives et dépourvues de pathos, sont des interrogations sur l’image et la réalité qu’elle représente. Il trouble avec ses belles images vraies-fausses.
Contrairement aux Becher ou à Thomas Struth, il n’est pas un documentariste mais un artiste qui recompose des images. Il est connu pour les maquettes en carton et papier qu’il a réalisées de lieux découverts dans la presse ou célèbres comme le Bureau ovale de la Maison blanche ou le bunker d’Hitler. Les maquettes peuvent aussi être celles de lieux physiques comme une grotte remplie de stalactites (à voir à Milan à la Fondation Prada). Il prend alors de grandes photographies très lisses, très « léchées », de ces modèles, et puis il détruit les maquettes n’en laissant que la trace, le souvenir dans la photographie dont le statut devient ambigu: de quoi est-elle la réalité?

Azzedine Alaïa
On en voit un exemple à Louvain avec Embassy (2007), où il a reconstitué avec un architecte les locaux de l’ambassade du Nigéria à Rome, depuis la façade jusqu’aux couloirs et bureaux. Le lieu où selon les Américains eut lieu en 2001 un vol de papiers vierges pour rédiger des contrats d’achats d’uranium par Sadam Hussein. Un vol qui a servi à justifier par la suite la guerre de George Bush en Irak. Mais l’histoire de ces faux était elle-même un faux. Et les photos si réalistes de Thomas Demand placées dans un labyrinthe de couloirs, nous plongeant dans l’ambassade sont par nature des faux, des maquettes. De quoi rendre palpable les fake news dont il est beaucoup question et se poser la question devant toute photographie: de quoi est-elle inévitablement la construction ?
Le musée M présente aussi de récents projets cette fois architecturaux de Thomas Demand comme son pavillon pour la firme Kvadrat et le projet en 2008 d’une Nagelhaus (maison-clou) pour Zurich, sorte de monument préparé avec le bureau d’architecture Caruso St John de Londres. Une réplique de la petite maison à Chongqing en Chine dont le propriétaire a lutté jusqu’au bout pour qu’elle ne soit pas détruite par les autorités chinoises. L’image avait fait le tour du monde de cette maisonnette juchée sur un piton au milieu d’un immense trou destiné à des tours neuves. Mais le projet zurichois a avorté, torpillé par la droite suisse.
L’essentiel de l’exposition ce sont ses récents Models Studies (depuis 2011) où cette fois il ne crée pas de maquettes mais s’empare de celles qu’il a découvertes dans des ateliers d’architecture aussi célèbre que John Lautner et Sanaa (Kazuoyo Sejima et Ryue Nishizawa), ou dans l’atelier d’Azzedine Alaïa où il découvre les patrons en cartons utilisés par le couturier.
A nouveau, il réalise en grand, de belles photographies abstraites, avec des détails de ces modèles. Ceux-ci qui servaient à annoncer des bâtiments et vêtements neufs trouvent cette fois une vie neuve, comme l’incarnation d’idées créatives détachées de leur objet final.
Thomas Demand, Musée M de Louvain, jusqu’au 18 avril 2021