Donner à voir la musique ? Un défi très beethovénien
L'exposition "Hotel Beethoven" débute ce mardi au Bozar, à Bruxelles.
Publié le 13-10-2020 à 15h31 - Mis à jour le 28-10-2020 à 13h56
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Outre le génie, Beethoven eut ceci en partage avec Mozart (dont il n’était le cadet que de 14 ans) qu’il nourrissait une admiration inconditionnelle pour « Papa Haydn » et qu’il en avait hérité les formes parfaites du classicisme. L’un et l’autre purent donc s’emparer du langage musical à son point idéal d’aboutissement pour traduire, quasi sans filtre, leurs élans les plus intimes et les plus authentiques. Mais si Mozart inventa la musique des âmes, des sentiments, de l’amour (y compris à travers la critique de l’Ancien Régime), Beethoven n’eut de cesse de proposer directement un nouvel ordre anthropologique, social et politique, plus fraternel et plus juste, inspiré de la Révolution française, certes et malgré ses désillusions, mais aussi de la lutte contre les coups de son propre destin – dont sa surdité. Les deux trajectoires se rejoindront bientôt pour transformer cet artiste misanthrope et furibond en héraut de l’humanité (meilleure) de demain, le poème de Schiller mis en musique dans le finale de sa IXe Symphonie restant, au niveau planétaire, sa signature la plus célèbre et la plus populaire (quoique loin d’être la plus belle, avec tout le respect dû à son auteur). C’est donc sur un mythe que s’appuie l’exposition proposée aujourd’hui par Bozar. Mais comment, dans ce contexte, mettre le mythe en liaison avec la musique elle-même ? Les voies seront différentes, d’une « chambre » (on est dans un hôtel) à l’autre, toujours détournées, souvent éclairantes, parfois bouleversantes. A cet égard, le luxueux Hôtel Beethoven s’apparente, aussi, à une auberge espagnole…
Synesthésie
Ainsi, dans la chambre 1801, celle des portraits, l’œil est attiré par le morphing imposé au visage de Beethoven dans la vidéo de Terry Adkins - Beethoven avait-il du sang noir ? – tandis que l’oreille capte des bribes de la Sonate op. 27/2, dite « Au clair de lune » , sortant d’un piano mécanique placé au centre de la pièce.
Le plus tendre des mouvements des 32 sonates, associé aux hypothèses de Adkins, ou aux collages provocateurs de Christian Marclay ? C’est qu’il s’agit bien d’une sonate charnière, « Quasi una fantasia » , où Beethoven entame son indépendance par rapport aux formes strictes du genre ; et même après son aller-retour sur la lune (piloté en morse par Katie Paterson), subsistent les subtiles harmonies et leurs interrogations mélancoliques. Une première réflexion s’enclenche chez le visiteur.
Dans la chambre suivante, la 1970, dénommée Laboratorium , la synesthésie (pour employer les grands mots) surgira du film sur la maison de Beethoven réalisé en 1970 par Maurizio Kagel, accompagné des raucités poignantes d’un saxophone, interrogatif, lui-aussi, dans lequel le visiteur reconnaîtra, ou non, l’Arietta de l’ultime sonate op.111, et pourra faire les rapprochements que lui dicte sa sensibilité.
Dans la même chambre, la partition autographe, devenue noire et illisible à force d’être raturée, de l’op. 69, la troisième sonate pour violoncelle et piano, la plus équilibrée et la plus lumineuse des cinq, est une autre façon d’entrer dans le mystère beethovénien : en visualisant, littéralement, l’arrachement au chaos que représentait pour Beethoven le travail de création.

Plus on aime l’op. 69, plus cette vision est révélatrice…
Chaque chambre, apportera ainsi un éclairage tangent sur une écoute – ou une expérience - antérieure. Dans la chambre Fidelio, la projection d’une mise en scène placée dans une prison américaine et reprenant le combat des Black Lives Matter , ne créera pas (trop) la surprise, sauf que le chœur sonne quand même assez rugueux : c’est qu’il s’agit d’une vraie prison américaine, et que le chœur est tenu par de vrais prisonniers, et cette fois, de droit commun, captés au terme d’un énorme travail de sensibilisation et de réhabilitation par le chant. Le changement de dimension s’inscrit alors dans le réel. Tout comme le passage des enfants, de l’immersion dans un orchestre à une manifestation pour le climat. Et tout comme le « regard » porté sur la surdité, ici assimilée non seulement à la différence mais aussi au génie de Beethoven, à son monde intérieur, à son inspiration, à ses ressources corporelles et vibratoires, et, en fin de parcours, ultime défense, à son humour (comme le décrit Guy Duplat), la langue des signes se mesurant ici à la musique elle-même, fût-elle silencieuse.
Informations pratiques
Où : à Bozar, à Bruxelles.
Quand : jusqu’au 17 janvier, ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h.
Mesures coronavirus : il faut réserver ses tickets avec un créneau horaire online ( www.bozar.be) ou au 02/5078200.