Une Villa-phare, en ces temps obscurs
Sise dans les murs de la Villa Empain, la Fondation Boghossian fête ses dix ans. 33 expos en une décennie, dont 20 depuis que Louma Salamé la dirige. Deux expos ouvrent aujourd’hui, l’une lumineuse, l’autre pleine d’espoir. Donc pourquoi s’en priver.
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Publié le 21-10-2020 à 15h30 - Mis à jour le 14-10-2022 à 10h16
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Louma Salamé est à la barre de la Fondation Boghossian depuis près de cinq ans. Elle nous accueille au second étage de la Villa Empain, d'où l'on domine les grands arbres du jardin. On se sent ici comme dans la vigie d'un bateau. C'est à ce niveau que se trouve la tête pensante de la Villa Empain, soit une mini équipe qui sait tout faire. "On est sept, avec le jardinier. Le travail est collégial. Chacun compte énormément, on a tous ce même objectif".
Alors que s’ouvre aujourd’hui la troisième grande expo qu’elle signe, The Light House, (qui fait suite à Melancholia en 2018, et à Flamboyant, en 2019), nous avions envie de revenir, avec Louma Salamé, sur le chemin qu’elle a parcouru, à la tête de cette jeune fondation qui défend,par-dessus tout, l’ouverture aux cultures de l’autre. Quelles sont ses ambitions ? A-t-elle pu les réaliser ? Que reste-t-il à entreprendre ? À cette question, on imagine au moins mil choses, quand on sait l’énergie qui anime la directrice d’à peine 40 an
Un public à la physionomie modifiée
"À mon arrivée, j'ai commencé par regarder la typologie des visiteurs". dans l'idée de la diversifier. "[La Villa Empain] est un bâtiment qui impressionne les gens. On a voulu que tout le monde se sente chez soi. Pour ce faire, il fallait savoir parler à tous". À commencer par les plus jeunes, c'était l'ambition de l'ambassade culturelle pour les enfants, lancée en 2016. "On a permis gratuitement aux élèves âgés de 6 à 16 ans de venir avec leur classe. Nous avons déjà reçu 5 000 élèves". Des classes bruxelloises, mais pas que, les enfants du Borinage et de Charleroi ont passé les portes de la villa. "On a aussi créé la gratuité un jour par mois, (10 000 visiteurs en 5 ans). Les fondations privées n'ont aucune obligation de mettre en place une gratuité, mais c'était un appel pour dire que nos portes étaient ouvertes à tous". Et l'on parle aussi davantage flamand à la Villa, puisque le public néerlandophone représente désormais 32 % du total des visiteurs, contre 7 % il y a cinq ans.
De l’art à partager
Un rajeunissement du public, c'est fait ; une plus grande ouverture aux autres langues et aux publics, c'est fait ; des visiteurs tout neufs, c'est fait aussi. Et c'est pas mal, mais cela ne suffit certainement pas à Louma. "Nous avons aussi lancé la résidence d'artistes. Plasticiens, photographes, danseurs, chorégraphes, vidéastes, graphistes, ils viennent du Liban, d'Arménie, de partout dans le monde." L'ouverture à l'art a aussi pris la forme d'une foire-événement annuel, "ce Salon du Multiple, qui réunit galeries, musées, éditeurs, artistes en résidence. J'ai eu le plaisir d'étudier aux Arts Décoratifs et aux Beaux-Arts à Paris, quand j'étais jeune, j'y ai pratiqué la gravure, et j'ai toujours été passionnée par l'idée du multiple, qui permet que l'on puisse partager la culture. C'est ma vision, finalement, ce partage. Que ce soit à travers l'éducation artistique, la gratuité, à travers, encore, la possible acquisition d'œuvres qui, sorties du concept de la pièce unique, peut se faire à des prix abordables".
Le rôle de la culture dans nos vies
On lui demande quel regard elle porte sur la culture du moment, celle du post confinement, celle qui joue aussi un rôle fondamental comme bouffée d'oxygène de la société… Ce qu'avait confirmé un public revenu en nombre à la villa, dès que cela avait été possible. "Il faut dire aussi que l'exposition d'alors, Mappa Mundi, (qui vient de se clôturer, NdlR) convoquait la carte du monde. Son thème était celui du voyage, de l'évasion. Nous sommes dans une époque où les horizons sont extrêmement fermés, dans une année de ténèbres, c'est la raison pour laquelle j'ai souhaité travailler sur la lumière d'ailleurs".
Sur la question de l'importance de l'art dans nos vies, elle, toujours nuancée, martèle, formelle : "L'expérience avec l'art est quelque chose que l'on ne peut pas reproduire. C'est ainsi que, pendant le confinement, j'ai choisi volontairement de ne pas proposer de visite virtuelle. Je voulais vraiment offrir au visiteur la possibilité inouïe de se retrouver face à face avec un chef-d'œuvre. C'est une expérience cellulaire ! Et c'est aussi le nœud de la prochaine exposition".
À la fin de notre entretien, elle prendra le temps d'ajouter : "J'ai commencé ma première exposition sur le thèmes de ruine, de la mélancolie, et de la solitude, et je travaille désormais sur la lumière. Je crois que mon propre parcours personnel peut-être illustré par mes thèmes d'exposition. Bruxelles m'a illuminée".
Le Light House : juste un teasing.
Il faudra aller voir cela de vos propres yeux, car, précisément, l'expérience esthétique est quelque chose qu'il faut vivre en direct. Ce qu'on vous chuchote déjà à l'oreille ?
Il y a 19 œuvres, pour les 19 pièces de la Villa, et, à chaque fois, des expériences sensorielles de la lumière et des couleurs.
"Nous avons aussi créé un chemin de lumières, avenue Franklin Roosevelt" ajoute Louma Salamé, une façon de faire sortir la lumière hors du musée, jusque dans la cité. "Enfin, nous avons proposé à douze institutions, en Belgique et à l'international, d'être nos ambassadeurs de lumière. La lumière, tout comme la culture, permet de sortir des ténèbres. Chaque musée expose une pièce similaire. On compte le Wiels, Kanal et BOZAR, le BPS22 à Charleroi, le CID au Grand-Hornu, le MuHKA à Anvers, le SMAK à Gand, l'Institut du Monde Arabe à Paris, le MUDAM à Luxembourg, le musée Sergueï Paradjanov en Arménie, le musée Sursock à Beyrouth. J'avais envie de proposer un projet qui illustre qu'on porte tous ensemble l'espoir. Avec cette exposition, on joue aussi le rôle du phare dans les temps obscurs".