Les ateliers de la cathédrale de Strasbourg entrent à l’Unesco
Reconnaissance d’une institution fondée au XIIIe siècle.
Publié le 03-01-2021 à 19h38
:focal(1235x832.5:1245x822.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/VWXGAKCO5BG7RJEBU4RVDMQTQM.jpg)
Privée de son ancestral marché de Noël par la crise sanitaire, Strasbourg a cependant pu se réjouir d’une belle nouvelle tombée le 17 décembre dernier : les savoir-faire de la Fondation de l’œuvre Notre-Dame - une institution fondée au XIIIe siècle et affectée tant à la gestion des dons et des legs destinés à la cathédrale qu’à la transmission des savoir-faire des premiers bâtisseurs - sont désormais inscrits au patrimoine immatériel de l’Unesco.
Cette reconnaissance est intervenue dans le cadre d’une candidature commune déposée en mars 2019 par 18 ateliers de cathédrales et grandes églises situés en France mais aussi en Suisse, en Autriche, en Allemagne et en Norvège.
À l’œuvre depuis le Moyen Âge
Strasbourg occupe une place particulière au sein de ce réseau de Bauhutten-Wesen puisque sa Fondation est la seule dont l’activité n’a connu aucune interruption depuis le Moyen Âge.
Créée par le clergé dès 1286-1290, elle a été immédiatement placée sous la tutelle de la Ville de Strasbourg et ce caractère laïc lui a notamment permis de survivre à la Révolution française.
En 2020, plus de 800 ans plus tard, c’est toujours la maire de Strasbourg qui en est l’administratrice de droit, responsable d’un budget d’environ 3,5 millions d’euros par an. Une somme considérable issue pour un tiers des subventions municipales mais aussi d’un patrimoine foncier - plus de 1 000 hectares répartis sur 124 communes alsaciennes - et des loyers d’une vingtaine de maisons à Strasbourg dont le fameux restaurant Kammerzell niché sur le parvis de la cathédrale. Les revenus générés par le tourisme consolident à la marge l’indépendance financière d’une Fondation cogérée par l’archevêque de Strasbourg, la Ville et l’État français, propriétaire de la cathédrale elle-même classée depuis 1988.
La transmission des savoir-faire des tailleurs de pierre est au centre de la distinction de l’Unesco. À Strasbourg, ils sont une trentaine de maîtres d’œuvre et apprentis à œuvrer au sein même de la Fondation, c’est-à-dire au plus proche de la cathédrale.
Ils se voient comme "les maillons d’une chaîne humaine d’autant plus importante que ce métier n’est plus enseigné par le circuit académique", insistent sur l’intelligence et la sensibilité des gestes essentiels à la compréhension de l’édifice mais ne sont pas pour autant hostiles à l’innovation.
"Nous intégrons les nouvelles technologies surtout dans les études et les travaux du bureau des plans, précise Frédéric Degenève, responsable de l’atelier. Des scans 3D sont réalisés pour les statues peintes afin d’éviter l’estampage qui les abîme, pareil pour certains éléments qui manquent dans notre gypsothèque. Et pourquoi se priver des drones ou des machines qui séparent les blocs de pierre ?"
"Chaque copie est une œuvre unique"
Reste que "la main de l’homme est indispensable aux finitions" et que le classement par l’Unesco a été accueilli avec soulagement dans un contexte "montée en puissance du numérique et de la robotique".
"La nature humaine doit continuer à transpirer dans les gestes. Elle injecte un état d’esprit, y compris au travers des erreurs. Chaque copie est une œuvre unique."
Les tailleurs de pierre de l’œuvre Notre-Dame préparent actuellement la restauration du portail Saint-Laurent de la cathédrale. Conçu en gothique flamboyant à la fin du XVe siècle, ce portail nord représente un défi particulier. "Ici, le sculpteur s’émancipe de l’architecture, la statuaire prend le dessus sur les murs, la cathédrale devient un décor et la notion d’artiste apparaît", explique Vincent Cousquer, meilleur ouvrier de France et historien de l’art.
Il termine actuellement une thèse consacrée aux sculptures XIXe de la cathédrale réalisées dans le style néo-gothique durant la période allemande.
Ce passionné regrette que le travail des tailleurs de pierre ait surtout été porté par les partenaires germaniques de la candidature alors que Strasbourg a préféré mettre en avant son fonds documentaire. Pour lui, "la cathédrale est une somme de connaissances et de savoir-faire" qui ne se transmettra que dans le respect "des gens qui travaillent avec leurs mains".