Profession : grand reporter du patrimoine !
A la Villa Empain, on plonge dans le Alep des temps passés. Un monde qui a été. Relevé par une équipe d'archéologues des temps postmodernes.
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Publié le 06-01-2021 à 13h50
À la Villa Empain, depuis la mi-septembre, on peut pénétrer des mondes qui ont disparu. La Fondation Boghossian a invité, dans ses murs, Iconem. Et Iconem, ça sonne un peu comme un personnage de bande dessinée d’aventures. L’aventurier, c’est Yves Ubelmann, un Français, archéologue de formation, et inventeur d’une méthode archéologique inédite qui ne racle pas les vieilles pierres à la brosse à dents, mais qui choisit, au contraire, de les surplomber. Avec son équipe, il capte un maximum d’images de sites aux vestiges anciens, grâce à des appareils photos et des caméras, portées par des perches ou des drones.
Faisant la synthèse de ces images, Iconem propose une reconstitution 3D des villes, de nouveau debout, par la magie des images virtuelles. Un travail qu’il choisit de mener sur les sites historiques mis en péril – des guerres aux catastrophes naturelles.
Ce jour-là, à la Villa Empain, il revenait de Beyrouth, où il était parti documenter le quartier du port, détruit par l’explosion accidentelle de cet été. Alep, comme elle a été.
Yves Ubelmann avait entamé sa carrière en tant qu’archéologue à Palmyre en 2006, et c’est tout logiquement qu’il a cherché à s’y rendre après la bataille dont la cité a été le terrain, en décembre 2016. “ Dans des situations d’urgence, comme ce fut le cas pour la Syrie, nous partons sur nos deniers propres. On ne trouve pas forcément de financement immédiat. Mais on s’y rend au plus vite pour sauver les premières informations”.
Dans l’Alep secoué par la guerre civile depuis 2011 et libéré fin 2016, Yves Ubelmann est l’un des premiers à arriver. “Il fallait agir vite, car, quand les gens reviennent après la destruction d’une ville, ils doivent restaurer rapidement pour se reloger. Dans le cas d’Alep, on a scanné la ville avant que les soldats ne la nettoient”.
Et ce sont ces images, captées au milieu des cendres et des ruines, qui permettent de tester la déambulation digitale dans la cité, projetée aux murs de la Villa Empain. Une balade onirique qui donne l’impression au visiteur de léviter au-dessus des beautés anciennes de la capitale syrienne, et ce n’est pas anodin si l’on montre ici Alep, ville chère au cœur de Jean Boghossian, qui y a vu le jour.
Reconstruire le patrimoine culturel
Iconem est-il parfois mis en danger sur les lieux où son équipe agit ? “ On essaie d’être transparents avec tout le monde. Car on travaille aujourd’hui avec des gens qui se font la guerre : Kurdes, Syriens, Turcs. Mais l’on considère aussi que ce patrimoine est universel, et qu’il doit persister en dehors des dissensions sur le terrain” […] “D’autant que les informations collectées par Iconem, dans la foulée des destructions, seront des informations fondamentales pour la compréhension de la ville telle qu’elle a été. Il faut pouvoir connaître les vestiges des couches archéologiques pour ensuite la remettre debout. “ L’historien lit les événements dans la destruction elle-même, dans les impacts de bombes. Et c’est ce qui disparaît en premier”.
L’idée, aussi ? Livrer des infos neutres, accessibles aux experts internationaux qui permettront de prendre des décisions lors de la réédification.
Un terrain fait de danger
On demande à Monsieur Iconem s’il a, parfois, affaire à des gouvernements qui le considèrent comme un observateur illicite. “ Nous refusons de travailler avec des services de renseignements, bien qu’Iconem ait été approché en ce sens”. Cependant, “ nous avons développé une approche qui prend en compte les communautés et acteurs locaux”. En Kurdistan irakien, ce sont les Peshmerga, les Forces armées du Kurdistan irakien, qui ont mené l’équipe jusqu’à la ligne de front, où avaient lieu les captations d’images. “ On ne peut pas être sans protection armée, mais nous avons notre propre ligne rouge : nous ne donnons pas nos images aux militaires. Partout, nos interlocuteurs demeurent les autorités scientifiques”.
Comme on vous l’avait décrit, grand reporter du patrimoine !
L’exposition “Alep, un voyage au cœur de 5000 ans d’histoire” rouvre ses portes ce 22 octobre. Et jusqu’au 31 janvier 2021. Infos : https://www.villaempain.com