L’histoire vraie du faux, des Romains aux fake news
La maison de l’histoire européenne à Bruxelles propose toute cette année un voyage éloquent dans le monde du faux. Un parcours chronologique, pédagogique et parfois ludique, apprend à développer notre esprit critique à l’heure des fake news.
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Publié le 08-01-2021 à 09h54 - Mis à jour le 08-01-2021 à 09h55
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On vient de voir à quelles extrémités mortelles peuvent amener les mensonges répétés pendant des semaines par Trump. La désinformation menace souvent de prendre le pas sur l’information et ouvre la porte à toutes les dérives extrémistes.
L’exposition pédagogique proposée toute l’année à la Maison de l’histoire européenne dans le Parc Léopold, rue Belliard à Bruxelles, est une manière pour tous de réfléchir à ce défi, et en particulier avec les jeunes.
Fake for Real, une histoire du faux et de la contrefaçon est racontée avec 200 objets et documents prêtés par des musées européens, de nombreuses explications, vidéos et même des jeux interactifs.
On constate que le faux a parfois des vertus. Il est le plus dangereux quand il vient flatter nos désirs, jouer avec nos illusions et qu’on se laisse alors si facilement manipuler. Une des commissaires de l’exposition Joanna Urbanek : « Nous devons être conscients que parfois nous voulons être trompés pour pouvoir transcender notre quotidien, rêver. Il est humain de croire à certaines contrefaçons. Mais cette inclination peut être exploitée et les conséquences peuvent être considérables. »
On peut passer ici, en revue quelques faux célèbres dont parle l’exposition.
On aurait pu évoquer le Cheval de Troie, mais l’expo débute avec l’empire romain quand Caracalla et son frère Geta héritent ensemble en 211 de la couronne impériale et que vite le premier assassine le second, et entreprend d’éradiquer tout souvenir de Geta pour recréer une fausse Histoire jusqu’à détruire au burin ses statues (on en voit un exemple à l’expo).
La lait de la Vierge
L’Eglise catholique n’a pas été en reste comme le montre l’histoire de la Donation de Constantin. Au Moyen Age, pour justifier leur pouvoir temporel, les papes ont fait état d’une donation que l’empereur romain Constantin aurait faite au IVe siècle au pape Sylvestre Ier lui accordant la suprématie sur les rois et empereurs. En 1440, l'humaniste Laurenzo Valla démontre qu’il s’agit d’un faux rédigé quatre siècles après la mort de Constantin mais l’Eglise se contente d’interdire le livre de Laurenzo Valla et de maintenir la Donation dans le droit canonique. Si aujourd’hui le pouvoir temporel de l’Eglise a disparu, elle n’a toujours pas admis qu’il s’agissait bien d’une escroquerie.
L’Eglise comme tous les pouvoirs a usé de faux pour asseoir sa puissance. On le voit à l’expo avec un bréviaire ancien et le cas de l’abbaye Saint Martial. Le chroniqueur Adémar de Chabannes a prétendu que Martial avait été un des Apôtres afin de redorer le blason de l’abbaye alors que le saint vécut trois siècles après Jésus. C’est un moine qui dénonça ensuite la falsification.
La vogue, voire le commerce effréné des reliques, allaient de pair avec la production massive de faux. On admire à l’exposition le magnifique reliquaire du lait de la Vierge du trésor d’Oignies. Mais vite dans son Traité des reliques, un moine de Nogent-sous-Coucy, Guibert (1060-1125), montra que le lait n’aurait jamais pu y rester et se serait vite évaporé. Il ironisait aussi sur le fait que deux lieux prétendaient détenir la tête de Jean-Baptiste (Constantinople et Angers), « comme s’il avait eu deux têtes ».
Avec humour, on montre que ces reliques n’ont pas disparu en exposant un tableau-mémorial vendu à la mémoire de la princesse Diana avec comme relique une mèche de ses cheveux.

Voyages inventés
Les cartographes n’ont pas échappé aux faux, même les plus grands. Mercator a cartographié la région Arctique avec l’île de Frisland qui n’a jamais existé. Ortelius a consciencieusement dessiné le détroit d’Anian en se basant sur des récits imaginaires car ce détroit n’existe pas.
Christophe Colomb prétendait avoir vu des sirènes en mer lors de son expédition. On exposa alors dans les cabinets de curiosités comme des sirènes, les ningyos ou poissons humains confectionnés par des artisans japonais (on en montre à l’expo).

Un beau cas de faussaire est George Psalmanazar (1679-1763), un Français qui acquit la gloire avec son livre sorti en 1705, et très bien vendu, donnant une description complète de l’île de Formose et ses habitants et coutumes, sans jamais y avoir été et sur base de simples rumeurs.
L’exposition souligne comment avec l’invention de l’imprimerie vers 1440 on a vu une accélération d’informations vraies ou fausses (comme on la revu avec Internet). Le meilleur côtoyait le pire qui fut l’utilisation livres contre les prétendues sorcières conduisant des milliers d’entre elles au bûcher
Mais en même temps le livre a pu informer les populations et les aider à défendre leurs droits.
Le monde scientifique n’a pas été épargné par les faux. L’expo revient sur la supercherie menée par Charles Dawson sur L’homme de Piltdown. Il prétendait avoir trouvé en Grande-Bretagne en 1908 le squelette d’un ancêtre lointain de l’homme, le chaînon manquant entre le singe et l’homme, flattant ceux qui pensaient que cet ancêtre ne pouvait qu’être européen voire britannique (alors qu’on montra qu’il était africain). La supercherie a résisté 40 ans !
L’usage du faux est une des manières de flatter le sentiment patriotique (Trump n’a pas fait autre chose). Chaque pays se raconte son histoire, son passé, n’hésitant pas à l’embellir d’épisodes faux ou enjolivés, surtout quand il fallait combler les « trous » de l’Histoire. En 1760, par exemple, le poète écossais James McPherson présentait son propre ouvrage comme étant une saga authentique que lui aurait racontée un « Homère du Nord », aveugle, Ossian. On sait aussi comment même en Belgique, pour forger un sentiment national, on a parfois pris des libertés avec la réalité historique.
L’infodémie
Au XXe siècle, l’usage des faux fut meurtrier à l’encontre des juifs, comme le montrait déjà en France l’affaire Dreyfus (largment évoqué à l’expo avec des pièces originales) et plus encore avec la publication en 1903 dans la Russie tsariste du Protocole des sages de Sion prétendant dévoiler le plan secret de domination des juifs sur le monde. La plus tristement célèbre des théories conspirationnistes. Même si la supercherie fut vite dévoilé le livre a continué son oeuvre mortelle alimentant le nazisme, la Shoah et le livre reste en vente dans plusieurs pays aujourd’hui !


Pendant la guerre, le faux a pu être vertueux. Il a permis de faire des faux papiers d’identité afin de sauver des milliers de juifs. Les armées alliées, avec l’opération Bodyguard de diversion, ont trompé les forces allemandes en parachutant des mannequins en forme de soldats (on en voit un) et en gonflant de faux avions posés au sol (on voit le film du gonflage).

Dans la société de consommation, le faux a toute sa place: faux tableaux (on voit un vrai-faux Vermeer d’Han van Meegeren) et fausse monnaie. Une grande vitrine éloquente expose nombre d’objets actuels mélangeant vrais et contrefaçons à charge pour le visiteur de déterminer où sont les faux. Mais il y a parmi eux, des faux éthiques, bienvenus, comme le faux foie gras à base de plantes pour sauver les oies, la fausse fourrure ou le diamant synthétique.
L’expo rappelle aussi la canular emblématique mené en Tchéquie en 2003 par un groupe d’activistes. Ils avaient d’abord multiplié les tracts annonçant l’ouverture d’un supermarché écrasant tous les prix mais le jour dit de l’ouverture quand la foule est venue, elle a découvert qu’il n’y avait rien.
Plusieurs installations interactives invitent le visiteur à tester sa capacité à démêler le faux du vrai.
L’expo se termine par le Covid-19 et le flux d’informations contradictoires généré. L’OMS a qualifié ce flux d’ « infodémie » soit une surabondance d’informations dont certaines sont exactes et d'autres non, ce qui explique pourquoi la population a du mal à trouver des sources fiables.
Le remède est d’apprendre et de cultiver l’esprit critique. C’est aussi le conseil que donne le philosophe Luc de Brabandère dans son nouveau livre Petite philosophie des arguments fallacieux (Eyrolles), qui lui aussi est une arme contre cette ère de la post-vérité qui nous menace.
Fake for Real, Maison de l’histoire européenne, rue Belliard 135, Bruxelles, jusqu’en octobre 2021. Entrée gratuite mais il faut réserver, ouvert tous les jours sauf lundi matin. https://historia-europa.ep.eu/fr