Une maison en bloc de glace ou d’argile
Gianni Pettena, « l’anarchitecte » italien qui voulait libérer l’architecture de la construction et revenir à la nature.
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Publié le 16-01-2021 à 08h34
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Le hasard fait que deux expositions à Bruxelles, parlent au même moment du mouvement architectural radical né à Florence à la fin des années 60 et qui continue à nous interpeler. Au Civa, on évoque l’aventure de Superstutio tandis qu’à La Verrière (Hermès) et à l’Iselp, on rappelle le trajet de Gianni Pettena.
Celui-ci né en 1940 s’était fait connaître avec son manifeste de 1973, L’anarchitecte. L’architecte devait se libérer de tout impératif constructif car la construction limite et opprime au lieu d’aider à vivre, et de le remplacer par des démarches conceptuelles et artistiques pour imaginer d’autres manières d’habiter le monde.
La fin des années 60 étaient celles des contre-cultures, de la contestation de tous les murs possibles: Ivan Illitch remettait en cause ceux de l’école, Gordon Matta-Clark trouait les murs. Pour l’anti-psychiatre Franco Basaglia c'est la société qui fabrique les fous, la folie n'est que le symptôme d'une société capitaliste malade et il s’agissait d’ouvrir les murs de l’asile.
Avec Pettena, souligne l’expo à la Verrière, cette « anarchitecture libérée et libératrice » prend des aspects poétiques qui parlent encore aujourd’hui pour penser un monde en crise écologique. C’est pourquoi son travail historique est évoqué dans le cycle à la Verrière intitulé Matters of Concern (Matières à panser) citation du philosophe Bruno Latour.
60 km de papier
Gianni Pettena n’a rien construit si ce n’est une cabane sur l’île d’Elbe mais il a beaucoup enseigné, réalisé des performances, illustré des concepts. Il a ainsi photographié dans les déserts, des « architectures inconscientes » faites par la nature, où il s’agit d’apprendre de la nature plutôt que de vouloir la dompter, ou des architectures vernaculaires sans architectes, ou des inscriptions éphémères sur le sable des plages.

Sa performance la plus connue (et qui donne l’image la plus belle) fut menée à Minneapolis en 1971, en recouvrant totalement une maison de glace créant une Ice House éphémère comme un glaçon géant. En 1972 à Salt Lake City, il recouvrait cette fois, une maison entièrement d’argile, créant une Clay House. Il y a monté aussi une Tumbleweeds Catcher, échafaudage de bois qui captait les branchages venus du désert et portés par le vent. Ces architectures minérales ou végétales connectaient symboliquement nature et culture, déléguaient leur forme au vent et aux saisons.
Le designer Andrea Branzi embrayait, disant qu’il fallait libérer l’homme des constructions architecturales qui l’enferment.
Le travail de l’architecte est alors de pointer un paysage, de documenter plutôt que d’ajouter une construction, de ramener les bâtiments à la nature en les recouvrant d’eau, d’argile, de branchages (annonçant les futures façades vertes).
L’expo à La Verrière est documentaire mais avec quelques manifestations tangibles: une banquette modulable, un mur qui respire en se détachant, une paroi d’argile faite des traces des mains qui l’ont façonnée…
A l’Iselp, juste à côté de la Verrière, Gianni Pettena a réactivé la performance Paper réalisée il y a 50 ans à Minneapolis. La salle de l’Iselp est entièrement remplie de 60 km de bandes de papier accrochées au plafond. Pour entrer, il faut vaincre sa claustrophobie et découper au ciseau ces bandes. Il veut ainsi renverser l’expérience architecturale, rendant l’intérieur invisible, bouché par le papier, à charge pour chacun de se réapproprier son intérieur à coups de ciseaux.
Ce qui frappe chez Pettena, comme chez Superstudio, c’est la liberté conceptuelle et le radicalisme mêlé d’humour. Comme s’ils réinventaient déjà une manière neuve d’habiter, avec la nature, dans un monde futur, celui d’après la catastrophe annoncée.
Gianni Pettena, à La Verrière et l’Iselp, à Bruxelles, jusqu’au 13 mars.