SVP, n'oubliez pas d'être en joie !
Les Matins Philo entament un chemin qui mène à la joie. Chacun le sien, et l’année sera plus aisée à vivre.
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- Publié le 18-01-2021 à 13h36
- Mis à jour le 18-01-2021 à 13h37
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Xavier Verougstraete est notre penseur de la joie à partir de ce mardi, et pour six sessions dans les Matins Philo (et ce jusqu’au 30 mars). Il nous propose de cheminer le long de différentes manières de penser la joie. “Les chemins sont multiples, et il faut savoir s’ouvrir à différentes perspectives”, histoire de trouver son chemin à soi. En sa compagnie, on a fait le tour des théories philosophiques, pour que vous sélectionniez celle qui vous convient le plus…
Pourrions-nous entamer notre échange avec une définition de la joie. Quelle est-elle, selon vous ?
Je ne vais pas en donner une, mais je vais m’appuyer sur Kant qui disait qu’il ne parvenait pas à définir le bonheur. Car il était, selon lui, trop dépendant des personnes qui le vivaient.
Mais j’ai quand même une petite idée. En une phrase, je dirai que la joie est une fenêtre ouverte. Je fais aussi la différence entre le plaisir (concret, limité dans le temps) ; le bonheur, que l’on peut comparer à une maison qu’on habite et où l’heur y est bon – d’où le mot “bonheur”, d’ailleurs. Et la joie, pour moi, c’est quand on ouvre la fenêtre.
Quand on parle de joie, on ne dit jamais “ma joie” (contrairement à “mon bonheur”). La joie est quelque chose qui me met en relation avec le monde extérieur, avec une intériorité. On ne possède pas la joie.
Spinoza fait de la joie un moteur de l’existence.
Pour Spinoza, le désir se marque de deux manières différentes : ou la tristesse, ou la joie. La joie est ici le désir d’une expression. Selon lui, il faut travailler à la joie, c’est une action. Attention cependant, à la fin de son essai intitulé L’Ethique, il écrit : “Si la voie que j’ai montrée semble escarpée, elle est accessible […] Et tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare…”.
Précisément, comment atteint-on la joie ?
La joie est définie comme un affect. Et tout le monde a des affects : tout le monde éprouve de la joie ou de la tristesse. Ce qui est intéressant, c’est que, selon lui, il faut devenir intelligent de ses joies, car il existe des fausses joies. Par exemple, si je suis orgueilleux, c’est une fausse joie, car c’est une imagination de ce qui me fait du bien et je vais m’imaginer que c’est cela qu’il me faut.
La joie, c’est une connaissance de soi-même.
Nietzsche aussi a sa petite idée de la joie, alors qu’on ne l’attendait pas sur ce terrain-là…
Il a parlé aussi du concept de “l’éternel retour” mais a ajouté : “Je l’accepterai pour autant qu’il n’y ait pas ma mère et ma sœur”. (rires) Mais sa sœur était vraiment épouvantable… Bref.
Nietzsche est quelqu’un d’attachant. Il dit en substance : je vais combattre ce qui est contre la joie : le ressentiment, la négativité, toute cette culture restrictive, je vais en faire sauter les marges. Il dit en fait que la joie est plus profonde que la douleur. Et pour lui, c’est important, c’est même un vécu à ce niveau. Dans sa fameuse phrase “ce qui ne nous tue pas nous renforce”, il y a cet aspect de lutte pour la joie, malgré tout.
Ce qui nous fait penser au propos du philosophe Clément Rosset, qui disait : “Tout est foutu, soyons joyeux”
Pour Clément Rosset [philosophe français, disparu en 2018], “la joie est paradoxale ou n’est pas”, car, en fait, on va tous mourir. On va être trahi, on va être déçu… Il dit aussi que pour nous rendre le monde acceptable, il nous arrive de créer un autre monde, son double. Ce qui serait intéressant c’est de ne pas avoir ce besoin, et de voir le monde tel qu’il est.
Mais il faut pouvoir supporter de regarder le monde tel qu’il est, et pour le supporter, il y a cette joie, paradoxale.
Clément Rosset combat l’illusion en disant : “Regardez la vie comme elle est dure. Mais cela n’empêche pas la joie”. Et, si la joie est possible alors que j’accepte que le monde est dur, alors cela veut dire que la joie est vraiment fondamentale. La joie est la force majeure, selon lui.
La joie, ce n’est pas seulement quand tout va bien ?
Ce qui me semble important, ce n’est pas de rechercher la joie pour la joie, c’est perdu d’avance, il faut lui donner de l’espace. S’y rendre attentif, car elle est un indicateur : elle dit ce qui importe pour soi. Et on travaille à la joie en accueillant le réel tel qu’il est. La joie est un oui à la vie !
Dans notre époque pessimiste, être en joie, c’est presque une position subversive.
Dans notre époque, il y a une valorisation de la critique qui consiste à dire : “Je ne me laisse pas prendre”, “Je ne suis pas naïf”. Mais regardez la joie de l’enfance : est-ce de la naïveté ? Voyons l’aspect positif de la joie : plutôt que d’être intelligent, on est sensible… Parce que le tout est de sentir ! Alors que, précisément, l’intelligence peut occulter la sensation, et on s’entend dire : “Ah non, alors, je ne vais pas m’y laisser prendre…”.
Peut-être que chercher à raisonner plutôt que ressentir la joie, c’est avant tout pour éviter la déception.
C’est une protection. C’est comme avec le Saint Nicolas : “J’étais naïf… Mais maintenant je sais tout”. Mais, à force de “savoir”, on passe à côté…La philosophie ouvre des perspectives, des possibles. Pour être plus intelligent de ce qu’on vit. Notre intelligence doit se mettre au service de la joie. On est heurtés par tellement de choses qu’on risque d’oublier le principal. La philosophie peut nous aider à prendre de la distance vis-à-vis de toute cette bousculade du monde.
--> La joie, un itinéraire philosophique, par Xavier Verougstraete. En six conférences. À partir de ce mardi. Infos et rés. : https://lesmatinsphi.be
--> Pour compléter la réflexion, “La joie, spiritualité philosophique”, de Xavier Verougstraete, aux éditions Accarias, 156 pp., 18 € env.