Peter Depelchin : Peter et Pan
Débordant de références à l’histoire de l’art, à la mythologie et à la métaphysique, l’œuvre de Peter Depelchin exige un effort de lecture. Exercice exhaustif mais addictif.
Publié le 20-01-2021 à 17h07 - Mis à jour le 28-01-2021 à 14h03
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En ce début d’année, le Rivoli Building concentre de belles propositions. Dans ce condensé d’expositions, un accrochage polarise toute l’attention… Ingrid Van Hecke - galeriste décidément bien inspirée - nous présente le travail d’un jeune artiste extrêmement prometteur : Peter Depelchin (°1985). Avant d’aborder le caractère narratif et extrêmement référencé de ses compositions, on applaudit d’emblée sa maîtrise technique. Un travail millimétré, d’une précision spectaculaire, qui doit sans doute beaucoup à sa formation de graveur.
Créées pour la plupart pendant le confinement, ces œuvres s’articulent autour du dieu Pan. À travers ses lectures, l’artiste se passionne en effet pour cette figure si singulière. Dieu grec des troupeaux de moutons, des ruches et des forces chthoniennes naturelles, maître du sifflet et de la prophétie, le dieu Pan était également un excellent conseiller dans la pratique de la chasse et dans la recherche érotique même si sa propre quête des nymphes était souvent infructueuse. Il est également le seul dieu grec déclaré "mort".
Dédale métaphysique
Magistrale, et certainement d’envergure muséale, l’œuvre phare de l’exposition ne s’observe pas. Elle se lit et se laisse scruter dans ses moindres détails. Pétrie de références, elle emprunte à la miniature persane, aux primitifs flamands, au duecento, au symbolisme belge, à Pierre Paul Rubens, aux préraphaélites, à Guy de Maupassant (Le Horla) ou encore à Jean Giono (Trilogie de Pan). Son travail doit également beaucoup à sa confrontation esthétique, dans la basilique San Petronio à Bologne, avec la fresque de l’Enfer de Giovanni da Modena. Peter Depelchin s’approprie librement la même division de l’espace, très structurée, typique du XIVe siècle.
Si l’œuvre multiplie les références classiques et apports historiques, il ne faut pas ignorer les apports contemporains, bien présents quoique discrets. Il faut en effet examiner l’œuvre de très près pour lire un "no social distancing" qui évoque le contexte actuel. Autre source d’inspiration, plus confidentielle encore, le cinéma : l’artiste nous confie qu’il s’inspire régulièrement de séquences de films. Pour représenter "Thanatos", et ces amoncellements de corps morts ou agonisants, Peter Depelchin s’est inspiré d’une scène de La Reine Margot (l’épisode du massacre de la Saint-Barthélemy). Pour figurer "Éros", l’artiste imagine un enchevêtrement de corps faisant l’amour à partir de la scène d’orgie du film Le Parfum. Il pioche des éléments dans notre base de données visuelle et les marie à ses lectures plus anciennes. Autre élément moderne, ce trou noir. Motif revenant constamment, il incarne une présence astrophysique qui tend à prendre de plus en plus de place dans la réflexion et le développement artistique de l’artiste : "En 2014, suite à un coup de foudre avec un tableau très ancien vu à Francfort, j’ai commencé à développer une série de jardins clos, espace contemplatif qui a toujours eu sa place dans les cloîtres. C’est une sorte de lieu de fuite que j’associe directement au trou noir. C’est aussi proche d’un lieu méditatif car cela absorbe tout. Tout et rien n’a sa place là-bas. C’est à la fois une fiction et une réalité. En 2018, j’ai été fasciné par la première photographie d’un trou noir et j’ai très vite introduit ce motif dans mon travail." (Peter Depelchin)

Placé au centre de la toile, ce magma sombre remplace le nombril de Pan, prisonnier d’un espace architectural duquel il déborde. Dans sa main droite, une plume - symbole du combat contre la gravité - chatouille l’arrière d’une panthère, métaphore de la paresse et de la volupté sexuelle. Dans sa main gauche, un anneau pris dans le museau d’un phacochère, incarnation de la goinfrerie. Les références se multiplient et c’est bien là l’objectif de l’artiste : nous inviter à lire une peinture fourmillant de détails (y compris scabreux). "Mis à part les experts, les personnes qui comprennent les symboles et les signes de la peinture ancienne sont très rares. Je considère qu’il faut apprendre à lire les images. Pour cette raison, j’essaye d’accompagner le spectateur en lui montrant quelques fois le chemin. Des bras pointent dans certaines directions pour guider le regard dans un sens ou dans l’autre. Même si certaines restent cachées, mes sources sont essentiellement issues de l’histoire de l’art et de la littérature. Cela appartient à notre mémoire collective, à notre héritage commun."
Avec juste ce qu’il faut de recul, cette œuvre peut se comprendre comme une fable psychanalytique sur la condition humaine. Une sorte d’introspection sur la fragilité de l’homme et l’incarnation de ses vices. Confrontation sublime. Royaume de promesses.
Les yeux dans les yeux
La rencontre impossible ? J’aimerais me balader dans la nature avec Victor Hugo ou Jean Giono, deux auteurs que j’admire beaucoup. Parmi les artistes, je choisirais Rubens. La dynamique de son travail me fascine particulièrement. Mais si je devais choisir un artiste contemporain, ce serait Matthew Barney. Dans ses vidéos Cremaster, il réalise toutes sortes d’associations. Il y a aussi des éléments communs à nos deux démarches. On retrouve une dualité entre le bestial et l’humain, la même confrontation du dionysiaque à l’apollinien.
Un message de l’homme à l’artiste ? Quelle que soit la tournure que peut prendre la vie, l’œuvre est vraiment centrale. Il y aura toujours des gens à qui ça ne plaira pas. Qu’importe ! Il faut continuer avec ceux qui nous soutiennent, nous donnent de l’énergie et nous poussent à continuer. Si je regarde en arrière, je me rends compte que j’ai eu besoin de toutes les phases que j’ai expérimentées. Elles font toutes partie d’un processus.
Ne surtout jamais mourir sans… Aimer ! Indirectement, l’amour est très présent dans mes œuvres. Artistiquement, je dois aussi beaucoup à ma compagne. Nous nous sommes rencontrés à Rome, c’est elle qui m’a montré, sur un vase attique, la figure du faune qui copule avec un animal que j’ai reprise dans le tableau Le faune et le cerf. Il y a de l’amour mais aussi une forme de partenariat, nous avons des esprits complémentaires.
Bio Express
Peter Depelchin (Ostende, 1985) vit et travaille à Bruxelles. Il a obtenu sa maîtrise en arts graphiques et dessin à LUCA à Gand en 2007. Très actif sur la scène artistique nationale et internationale, il a multiplié les résidences aux Pays-Bas (Stichting IK, Vlissingen 2008-2009), en Italie (Academia Belgica, Rome 2014-2015) et aux États-Unis (Residency Unlimited, New York, 2015-2016). Chacune a donné lieu à des expositions. L’artiste a également été invité à exposer à Bruxelles (château de Gaasbeek, La Vallée) et à Londres (Young Masters). En outre, il a reçu plusieurs prix nationaux.
Peter Depelchin "The Great God Pan" Art contemporain Où Husk Gallery, chaussée de Waterloo 690 #12, 1180 Uccle www.huskgallery.com Quand Jusqu’au 27 février, du jeudi au samedi de 13h à 18h et srdv.
