À Rome, en remontant les siècles
Comme la première fois Les journalistes de la rubrique Culture de "La Libre" vous racontent leurs émois artistiques, le souvenir d'une première fois, d'une découverte culturelle.
Publié le 03-03-2021 à 13h38
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Engagé à La Libre depuis le mois de janvier, je ne pouvais prendre mes congés qu’après la clôture de l’Exposition internationale de Bruxelles. Donc après le 12 octobre. Où aller en octobre ? Là où je rêvais d’aller depuis si longtemps. Survint un événement décisif : la mort du pape Pie XII. Aller à Rome, alors que s’y ouvrait un conclave, c’était cumuler la plus haute antiquité de la Ville avec l’actualité la plus brûlante de l’Église.
Rome en 1958 était une ville qui se souvenait encore de la guerre dans une Italie qui était encore celle du Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica. Elle n’était pas submergée de touristes, on entrait à sa guise dans Saint-Pierre comme dans n’importe quelle église. Dans les musées, on dialoguait entête-à-tête avec les chefs-d’œuvre. Les cartes postales étaient en noir et blanc.
Déambuler dans Rome, c’est parcourir les siècles comme nulle part ailleurs. On y passe de Forum, où César fut assassiné, au Palais de Venise où Mussolini avait son bureau – que je visitai, piloté par un mutilé de la guerre qui conservait son attachement au Duce. On y passe de l’église du Gesù, angélique berceau d’un art baroque parfois appelé jésuite, au Colisée où des chrétiens, mais aussi des gladiateurs, des lions, des éléphants mouraient dans d’atroces souffrances pour le divertissement d’un public blasé.
Partout, l’Antiquité païenne et l’Eglise alternent ou entrelacent leurs présences. Au château Saint-Ange, les appartements des papes Jules II et Léon X ne me faisaient pas oublier qu’il avait été édifié pour servir de mausolée à l’empereur Hadrien dont Marguerite Yourcenar venait de raviver la mémoire.
Dans les soubassements de l’église Saint-Clément, une des plus anciennes de Rome, je visitai le sanctuaire de Mithra, dieu ramené de Perse par des légionnaires et fêté… le 25 décembre.
Comme tout le monde, je jetai quelques lires dans la sublime Fontana di Trevi. Je ne me doutais pas alors que quelques mois plus tard, la non moins sublime Anita Ekberg y descendrait pour fournir à Fellini une des plus célèbres séquences de sa Dolce Vita. À la Via Veneto, où j’allai quelques fois dîner le soir, cette Dolce Vita s’annonçait entre une parade de filles trop maquillées et une pétarade de vespas trop astiquées.
Un soir, alors que la nuit tombait sur la place Saint-Pierre, une fumée soudain s’éleva vers le ciel. Grise ? Noire ? Non, blanche ! De la foule s’éleva comme un rugissement de satisfaction. Une interminable attente s’installa, pendant laquelle des valets déployèrent au balcon de la basilique un tapis frappé des clefs de Saint Pierre. Nouvelle attente. Enfin, le cardinal camerlingue annonça : “Habemus Papam”. Et je vis apparaître le Patriarche de Venise qui prendrait le nom de Jean XXIII…
Deux jours plus tard, je reprenais le train pour Bruxelles.