Van Breedam sur trois fronts
Alors qu’il règne depuis quelques mois à la Wittockiana et au FeliXart Museum, Camiel Van Breedam brille aussi à la Galerie Laurentin…
Publié le 03-03-2021 à 17h42 - Mis à jour le 10-03-2021 à 15h25
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"Un miracle !", écrivions-nous alors qu’il venait de vernir, en septembre dernier et jusqu’au 21 mars 2021, une exposition qui, à la Wittockiana, présente un ensemble de ses plus récents travaux autour du livre, de la mémoire des choses et des gestes. Une expo qu’il vous est conseillé de voir et revoir dans la foulée de celle, toute fraîche, qu’il initie à la galerie d’Antoine Laurentin et de Carole Joyau.
Ne pas oublier non plus celle, toujours jusqu’au 21 mars, qui, au FeliXart Museum, propose un recul important sur ce travail au long cours. À Drogenbos, vous aurez affaire aux premiers travaux de cet iconoclaste de la ferraille, ses œuvres de 1956 à 1960.
S’il y avait un moment que Van Breedam ne s’était plus montré à Bruxelles, sauf chez Fred Lanzenberg à temps et heures, le bonhomme a toujours l’allure conquérante de ses vingt ans et c’est un bonheur de le rencontrer et de voir de quel bois il se chauffe. Souvenir d’une enfance attisée par le rouge des voitures de pompiers, le Camiel de Boom vit sa vie d’adulte de rouge vêtu, de la tête aux pieds, masque anti-corona et voiture, rouges de même. On peut même dire qu’il est devenu le pompier de service, sauvant des feux de la vie des objets qui, sous ses doigts experts, retrouvent une âme.
Adulte d’accord, mais entendons-nous bien : son art est un jeu de l’enfance. Un jeu, que Camiel Van Breedam aura réussi, d’étape en étape, à mener en concordance avec son être puissant et charmant. Son ample chevelure blanche, joliment bouclée sur un visage débonnaire et souriant, l’artiste respire la fraîcheur d’une vie consacrée à l’art. Un art qui le mobilise en toute saison. Le bric-à-brac de son atelier - où tout cependant est rangé avec minutie - est un domaine réservé où lui seul se retrouve entre bouts de bois, images à gogo, vieilles serrures ou ferrailles destinées à une vie nouvelle. Il a beau apparaître en iconoclaste de la vieillerie, Van Breedam est surtout, avant tout, essentiellement, une sorte de créateur de beaux jours, ses boîtes et recréations avouant les atours de la pièce mirobolante.

Œuvres reliquaires
Une œuvre de Camiel Van Breedam, c’est un peu comme un reliquaire posé sur un mur pour que, fort de ce dernier, le mur soudain irradie des rayons d’imprévus.
À la galerie d’Antoine Laurentin, Carole Joyau, qui a l’art de respirer, d’aimer, les artistes qu’il lui revient de mettre en scène, a, cette fois encore, réussi un accrochage non seulement sans faille mais directement porteur d’intensités.
Jouant habilement avec les formats, les chromatismes, les tensions qu’initient les travaux en tous genres d’un Van Breedam spécialiste dans l’art d’innover avec du déclassé, Joyau nous propose une exposition tout emplie de charmes et d’insolite.
C’est vrai sur les deux étages de la galerie, l’espace du bas s’articulant surtout autour de petits formats, que ponctue, en bout de salle, une véritable pièce d’identité, rouge comme il se doit : Fenêtre à Aubaix, de 2013. Et, tout près, La serrure de la porte d’Edith De Vries, de 1991, rappelle l’amitié qui scellait les filiations es-boîtes entre le Flamand Camiel et la Néerlandaise Edith, tragiquement disparue, été 1990, dans un accident domiciliaire. D’où cette boîte émouvante, sorte d’enclave sentimentale dans un ensemble qui propose d’autres attachements de notre contemporain à des artistes vénérés.

De Gauguin à Soutine
Pour Camiel Van Breedam, pas d’atermoiement, "Soutine, c’est le peintre !" En hommage à celui-ci, l’artiste flamand a réalisé des Chaise de Soutine et Maison de Soutine en lattis de bois de plafond. Des chaises et maisons de guingois comme l’étaient les arbres de l’artiste juif lituanien. C’est léger et tellement évocateur d’une tendresse infinie envers un créateur empli de secrets et de misères.
Il y a aussi un Hommage à Fernand Léger, une boîte en laquelle un L rouge rappelle sans doute que Léger fut un homme de gauche, ardent et décidé. Et puis, il y a, cercles jaune et rouge, un Un bonjour à Gauguin et Llosa, de 2003, qui associe le génial peintre français et l’important auteur sud-américain Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature. Quel rapprochement entre eux ? "Aucun !", nous a dit Van Breedam, qui ajouta : "Sans doute qu’à l’époque, je lisais un livre de cet auteur qui me plaît et que je les ai associés sans autre raison !" Les voix des muses sont évidemment impénétrables.
Une exposition de Van Breedam ne se détaille pas de but en blanc. Il faut se pencher devant chaque pièce, chacune étant une sorte de boîte à trésors dont il faut remarquer, évaluer les détails si importants. Tellement essentiels, qu’ils ont requis de l’artiste une patience infinie dans la quête du bout d’objet qui fera mouche au bon endroit.
"Il faut bien regarder, même les choses très simples", dit-il. Un tout petit drapeau rouge dans le coin d’une boîte intitulée Danger ! et c’est le rappel du danger de se baigner en mer par gros temps. Sa sculpture Capture, de 2019, ingénieuse, est un piège à détecter.
"Tout cela, c’est un jeu", dit-il aussi rappelant un mot de Seuphor : "Dès qu’un artiste ne joue plus, il est perdu !"
"Quand je peux jouer dans mon atelier, j’oublie les mauvaises choses. Et, il faut le savoir, je ne peux pas expliquer ce que je fais… Ce que l’on fabrique doit aller de soi, sans réfléchir. Sinon, on fait, on ne crée pas !" Le mystère de l’art, c’est ça.
Il faut apprécier ses constructions de bois, ses cartes postales avec collages. Des trésors encore. Et se rappeler que Van Breedam a plus d’une corde à son trombone. Depuis un demi-siècle, il dirige le Fondy Riverside Bullet Band, fameux ensemble de jazz New Orleans…
Van Breedam, de 1985 à 2020 Art actuel Où Galerie Laurentin, 43, rue Ernest Allard, 1000 Bruxelles. Tél. : 02.540.87.11 et www.laurentin.com Quand Jusqu’au 17 avril, du mardi au samedi, de 10h30 à 13h et de 14 à 18h30.
