Lourd est le silence… d’Eric Kengen
De grands yeux fixes qui vous toisent dans un mutisme total… Voilà la peinture solide et charpentée.
- Publié le 12-03-2021 à 15h50
- Mis à jour le 12-03-2021 à 16h03
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Étrange et intriguant. Tels sont les maîtres-mots de l’univers éminemment reconnaissable qu’Eric Kengen compose inlassablement depuis plus de quarante ans. "Au début de ma carrière, et pendant très longtemps, j’ai mis un point d’honneur à ce que chaque tableau soit une aventure… Et pour cause : à chaque fois que je me ‘plantais’, ça ajoutait de la richesse au tableau. Aujourd’hui, j’aime travailler à partir d’un dessin préparatoire." (l’artiste) Ses œuvres - toiles marouflées sur panneau, à l’acrylique parfois rehaussé d’huile - sont peuplées de personnages aussi charismatiques que hiératiques. La fidélité absolue, et quasi obsessionnelle, de l’artiste à ce premier rôle récurrent pourrait à lui seul être considérée comme une performance… Autant de Kouros imberbes mais massifs présentant invariablement les mêmes caractéristiques physiques : de grands yeux qui questionnent le spectateur, un nez épaté et une mâchoire carrée, mais surtout ces lèvres serrées qui les enferment dans une forme d’incommunicabilité. Le silence est de plomb. Régulièrement amputés, ils trouvent néanmoins le moyen de s’enlacer, se bousculer, se protéger ou encore se caresser… Pourtant, au caractère mutique répond un isolement psychologique. "Le non-verbal est quelque chose qui aide beaucoup plus à certains moments, quand on a besoin de voir clair en soi. On a plus à apprendre ou à dire par la voie détournée de l’image", nous explique-t-il.
Ces figures, et ses compositions plus généralement, s’extraient du calendrier. Impossible de les dater… Eric Kengen se garde bien de leur donner un semblant d’actualité en les privant de tout vêtement ou élément de décor qui viendrait nous éclairer. Ce n’est pas dans sa nature de nous livrer les clés de l’énigme. On serait d’ailleurs en droit de se demander s’il les possède lui-même ? Car ce n’est nullement la volonté de l’artiste que de semer le trouble. Le peintre préfère tout simplement décontextualiser ses protagonistes en usant d’éléments de décors abstraits. À l’arrière-plan, Eric Kengen aime privilégier des éléments comme l’eau ou l’air… Des réalités insaisissables qui apportent une fluidité à la composition, mais aussi un caractère atmosphérique tout à fait unique. Soit une façon d’échapper au présent et au temps, tout simplement.
Figure du père et fragmentation identitaire
Cette figure incessante, mutique et obsédante, est celle de l’instance paternelle qui lui a manquée… "Il m’a fallu du temps, des années… et surtout du recul pour m’en rendre compte, faire ce rapprochement avec la figure du père et m’en distancier. Aujourd’hui, je ne suis plus dans une peinture de filiation. Je suis dans une peinture qui explore le lien, l’affectif, la relation." Et pour cause : se nouent dans ce théâtre d’émotions des gestes filiaux, tendres, sensuels, parfois menaçants. Autant de rapports contrastés qui composent l’essence de toutes nos relations. Ses œuvres apparaissent comme un lieu à la fois d’union et de multiplicité dans lequel l’artiste ajoute des personnages.
"Je suis un évadé scolaire… Je n’ai aucun diplôme, j’ai commencé peu avant mes trente ans à peindre, mais je dessinais depuis l’adolescence. Je suis heureux d’avoir pu en vivre. C’est finalement cette chance-là qui m’a construit et permis de vivre ma vie. […] La peinture est le lieu où je me sens le plus complet et où la vie me semble la plus intéressante. Je n’imagine pas vivre sans cette dimension." (Eric Kengen)
Un univers où de grands yeux nous toisent autant qu’ils nous troublent. Est-ce que ce sont les multiples visages d’un même personnage ? Un homme et toutes ses (parts d’)ombres ? Ou différentes entités ? Seule certitude : dans cette humanité qui n’appartient définitivement qu’à lui, la nature du lien, aussi mystérieuse soit-elle, occupe le premier rôle.
Eric Kengen Peintures Où Zedes Art Gallery, rue Paul Lauters 36, 1050 Ixelles www.zedes-art-gallery.be Quand Jusqu’au 3 avril, du mercredi au vendredi, de 12h à 18h, le samedi de 14h à 18h.
