Napoléon n’est pas mort, la preuve à Liège
Pour les 200 ans de sa mort, grande exposition à Liège sur Napoléon, son épopée, son personnage, son mythe. Avec 350 objets historiques dont 150 de la riche collection de Bruno Ledoux que nous avons rencontré.
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Publié le 02-04-2021 à 08h59 - Mis à jour le 18-05-2021 à 10h11
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Le 5 mai 1821 à 17h49, après trois ultimes soupirs, raconte le mamelouk Ali qui l’assistait, Napoléon mourait à Sainte-Hélène à l’âge de 51 ans, d’un ulcère à l’estomac.
Mais est-il bien mort? Depuis 200 ans, il ne cesse de ressusciter et de fasciner. L’historien Jean Tulard, a compté qu’il y a déjà eu 80000 livres publiés sur lui, soit un nouveau livre par jour depuis sa disparition sur ce rocher de l’Atlantique sud, sans parler du millier de longs métrages et documentaires qui lui ont été consacrés. « Il est le personnage le plus connu de toute l’Histoire après Jésus », continue l’historien.
On ne compte plus les musées napoléoniens en France et en Belgique autour de Waterloo, et même jusqu’à Cuba où pourtant l’Empereur jamais ne vint. Même les vifs débats qui n’ont jamais cessé sur son bilan -super héros de la France moderne ou dictateur ayant rétabli le patriarcat et l’esclavage dans les colonies- n’ont pas nui à son image.
Durant son règne, il joua en maître de la propagande. Quand David le peint à sa demande à cheval passant les Alpes, il masque que Bonaparte était en réalité à dos de mulet. Et quand Gros le peint en costume impeccable sur le pont d’Arcole, il masque que Bonaparte était en fait couvert de boue. De manière géniale, il transforma le fiasco de sa campagne d’Egypte en légende grâce aux scientifiques et artistes qui l’accompagnaient. Napoléon voulut même transformer son exil en une Passion quasi christique. Il disait: « Si le Christ n’était pas mort sur la Croix, il ne serait pas Dieu. » En 1869, le peintre Horace Vernet peignit même Napoléon ressuscité sortant de son tombeau.

La grande exposition Napoléon, au-delà du mythe, à la gare TGV des Guillemins à Liège a l’honneur d’ouvrir la napoléonmania de cette année jubilaire. La France, si la pandémie le veut bien, continuera avec une armée d’expos à commencer par celle de La Villette qui devait ouvrir ce 14 avril. En Belgique, le Mémorial de la bataille de Waterloo ouvrira le 5 mai, son expo sur les années finales, de Waterloo à Sainte-Hélène.
Son grand sabre
L’expo à Liège sur 3000 m2, est l’oeuvre d’Europa Nostra qui avait déjà réussi celle sur Toutankhamon au même endroit. On retrouve sa signature: des expositions très didactiques, pouvant intéresser autant les familles que les spécialistes, mêlant, ici, trois grands décors très réalistes à 350 objets historiques donnant corps à l’Histoire racontée. Le tout sous la contrôle de l’historien de l’université de Liège, Philippe Raxhon.
Le parcours débute par la fin avec le tombeau aux Invalides où reposent les cendres de Napoléon depuis leur rapatriement en 1840 par le bateau La Belle Poule.

Impossible de citer toutes les pièces originales illustrant tous les facettes de Napoléon et son influence: un morceau d’une vraie guillotine de la Révolution, la chemise que portait Louis XVI juste avant sa mort, le lit de campagne de Napoléon, son bicorne, le seul sabre connu de Napoléon empereur en argent et nacre, son nécessaire dentaire, la calotte du Pape Pie VII qui couronna Napoléon en 1804, une robe de Cour de l’impératrice Joséphine, des bustes en gloire comme des caricatures anglaises, le tabouret « aux sabres » pour la salle du Trône, le sabre du maréchal Ney, des dizaines de
documents et lettres. De quoi donner chair à toutes les facettes de l’homme sans occulter totalement ce qui continue à susciter la controverse.
Bruno Ledoux, grand collectionneur
L’exposition bénéficie, avec 150 objets prêtés, de l’apport de la collection unique de Bruno Ledoux, un célèbre homme d’affaires français qui a fait fortune tant dans l’immobilier (groupe Colbert), que le médias (il joua un rôle clé dans le sauvetage de Libération avec le groupe Altice). Son allure de quinquagénaire branché, en jeans et baskets, sportif et baroudeur à travers le monde, ressemble peu à celle d’un businessman habituel.
Parmi ses nombreuses passions, il y a celle pour Napoléon. Dans le somptueux hôtel particulier où il habite à Paris, il a accumulé plus de mille pièces de la légende napoléonienne et rêve de créer un lieu pour les montrer, peut-être dans le Palais de Roi de Rome qu’il a racheté à Rambouillet. Nous l’avons rencontré à Liège.
D’où est venue votre passion pour les objets de Napoléon?
C’est ma passion pour l’Histoire, elle-même venue de mon père et de mon grand-père Albert Ledoux qui fut durant la guerre, ambassadeur du général de Gaulle en Amérique du Sud. A travers les objets et les personnages qui les possédaient, j’ai appris à connaître l’Histoire et la psychologie de ceux qui la font, à mieux comprendre d’où ils venaient, leur milieu social. C’est en 1999 que j’ai acheté mon premier objet napoléonien avec un roman en vers autographe de jeunesse, Clisson et Eugénie. Ensuite, j’ai acquis un mouchoir que Napoléon avait à Sainte-Hélène et tout s’est enchaîné. J’ai pu saisir ce qui ne passe qu’une fois en vente, comme le grand sabre impérial de Napoléon ou sa boîte de réglisse en nacre qui l’accompagnait partout et qu’il avait à Waterloo mais qui avait disparu dans le pillage de sa berline. Il est émouvant qu’une réglisse, sa sucrerie favorite, y soit encore.
Quand j’ai rencontré à Londres le prince Charles, je lui ait dit que je possédais la dernière chemise de Louis XVI avant sa décapitation. Il m’a dit qu’il avait celle de Charles Ier avant sa décapitation par Cromwell. La collection de la Reine d’Angleterre possède des objets venus de Waterloo. Je n’ai pas d’objets préféré dans ma collection. Les plus humbles peuvent être les plus touchants. Dans son testament, Napoléon évoque des objets sans prétention mais qui comptaient plus pour lui que ses palais.

Vous avez soutenu le journal Libération qui n’est pas a priori admirateur de Napoléon. Qu’est-ce qui vous fascine chez lui ?
Détrompez-vous. Quand je suis arrivé à Libé, j’ai vu que le directeur de sa rédaction, Laurent Joffrin, était un vrai fou de Napoléon. La France de Napoléon, c'est déjà la France moderne. Napoléon incarne d’abord l’ascenseur social. Il venait d’une petite aristocratie corse désargentée et parlait avec un accent, mais, par ses études, il parvint si jeune au sommet. Les maréchaux d’Empire furent eux, les nouveaux riches de l'époque arborant leur richesse -contrairement à lui- comme ceux qui montrent leur Rolex. Sa relation avec Joséphine de Beauharnais qu’il épouse est tout aussi moderne. Comment ne pas penser par certains côtés au couple Emmanuel et Brigitte Macron. Joséphine a 6 ans de plus que Napoléon, elle est la maîtresse de Barras, et voilà qu’un petit provincial arrive à la capitale et la séduit. Ils auront toute la vie une forte liaison comme en témoignent les lettres parfois très crues qu’ils s'échangeaient. Napoléon était aussi un grand militaire dans une époque où les guerres étaient incessantes. Il était enfin le premier leader moderne à construire à ce point sa propre légende comme le feront ensuite des leaders aussi différents que de Gaulle, Mao ou Hitler, mélangeant aussi un côté proche du peuple et un autre le rendant inaccessible.
Vous collectionnez aussi des objets d’autres personnages historiques dont Hitler ?
Je m’intéresse d’abord aux écrits autographes autour de la première et seconde guerre mondiale quand la carte politique du monde est bouleversée et au rôle alors de leaders comme de Gaulle, Roosevelt ou Hitler. J’ai pu acquérir les seuls documents connus de la main d’Hitler sortis de son bunker. Avant de se suicider, il avait demandé de tout détruire mais les soldats français à Berlin ont pu récupérer ses quelques écrits. Trouver des objets de de Gaulle est difficile car par fétichisme, il avait demandé aussi de tout détruire. Mais j’ai sa carte d’identité à Londres et ses jumelles comme j’ai l’étui à cigares de Churchill avec dedans encore un cigare. J’ai monté chez moi un vrai cabinet de curiosités avec tous ces objets.
Napoléon à la gare des Guillemins à Liège, jusqu’au 9 janvier 2022, ouvert 7/7 jours, de 9h45 à 19h30. Riche catalogue très pédagogique. Tickets en ligne et infos sur www.europaexpo.be