L’art aborigène est un art très contemporain
Une grande exposition d’art aborigène au musée des Beaux-Arts à Bruxelles dialogue avec le musée.
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Publié le 04-04-2021 à 08h36 - Mis à jour le 04-04-2021 à 10h42
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Les artistes aborigènes d’Australie réalisent des oeuvres qui se situent dans une continuité unique au monde de 60000 ans, des poèmes, chants, représentations du monde et du ciel. Durant des siècles, ces artistes s’exprimaient sur le sable, les parois des grottes, sur les corps.
Depuis juste 50 ans, depuis, dit-on, l’intervention en 1971 de Geoffrey Bardon, un instituteur de la région de Papunya Tula, ils utilisent des support pérennes : planches de contreplaqué, toiles, bois, etc. Une manière de sauver une riche culture qu’ils craignaient de voir absorbée par le monde occidental.
Ils continent à y exprimer l’histoire de la création du monde appelée le Temps du Rêve et le lien originel entre les humains et la terre. Les nombreux motifs (pointillés, spirales, zigzags, hachures…) sont transmis de génération en génération par initiation entre les membres d’une même communauté et recèlent des secrets séculaires en même temps qu’une cartographie de leur territoire.
Depuis l’exposition mythique des Magiciens de la terre en 1989 au Centre Pompidou par Jean-Hubert Martin, on a appris à ouvrir notre regard sur ces arts périphériques qui touchent aux mêmes questions de la vie, de la terre, du ciel que pose l’art occidental. Questions rendues encore plus urgentes aujourd’hui par la grande crise écologique.
Le néologisme Aboriginalités qui fait le titre de l’exposition au musée des Beaux-Arts a été créé par Michel Draguet, le directeur du musée et commissaire de cette exposition. Une manière de sortir cet art de tout primitivisme et de l’ancrer dans un Art moderne mondial.

Collection exceptionnelle
L’exposition présente 120 peintures et objets de la collection de 250 pièces de Marie Philippson, passionnée par cette culture et cet art depuis vingt ans (par ailleurs l’épouse d’Alain Philippson, longtemps à la tête de la banque Degroof).
En visitant l’exposition, on voit la diversité de cet art qui ne se résume pas à un art de points mais montre une grande variété et de très étonnants parallèles formels et de fond avec l’Art moderne occidental.
Michel Draguet le démontre en plaçant dans le parcours une dizaine d’oeuvres des collections du musée: Richard Long, Marc Mendelssohn, Dubuffet, Van Lint, Vandercam. L’apparition (1928) de Magritte trouve comme son double par un artiste australien. Un dessin de Sol LeWitt, comme le font les artistes aborigènes, interroge notre rapport au visible et à l’invisible. Il disait: « Les artistes sont des mystiques plutôt que des rationalistes. Ils tirent des conclusions que la logique ne peut atteindre. »
Trois toiles monumentales d’art aborigène ont d’ailleurs rejoint les collections du musée, grâce à un don de Chris Simmons en 2019.
L’artiste aborigène Gulumbu Yunupingu disait: «J’ai regardé l’univers, j’ai regardé cet endroit, la terre, les gens et les étoiles, et je me suis dit: on est exactement comme les étoiles. Groupés ensemble, tout près les uns des autres. En fait, on n’est qu’un, comme les étoiles. Nous sommes si nombreux à vivre sur la terre, et la terre, la mer, le ciel, c’est un continuum. C’est une seule et même chose. Vos étoiles sont les mêmes que les nôtres.»

Métaphysique
Ave un guide du visiteur très complet sur son smartphone on peut pénétrer la diversité de cet art.
On repère les oeuvres qui sont comme des cartographies du bush, du cosmos ou des rituels. Certaines semblent issues de peintres occidentaux du XXe siècle comme le Body Paint (1995) d’Emily Kame Knguwarreye et le Grand crocodile (2005) de Sally Gabori.
Un grand tableau noir avec les traces du vent sur le sable fait penser à Soulages. D’autres résonnent avec les dessins d’Alechinsky dont le musée célèbre l’oeuvre par ailleurs. On montre des oeuvres sur bois : poteaux funéraires peints reprenant la tradition de troncs d’arbres dans lequel on plaçait les os des morts, dessins sur boomerangs.
Cet automne, du 15 octobre jusqu'à la mi-avril 2022 aura lieu, cette fois au musée du Cinquantenaire, une seconde expo d’art aborigène, Before Time Began, venue de la riche Fondation Opale qui a son siège à Lens, près de Crans-Montana. Bérangère Primat (la famille Schlumberger) y a réuni une collection de 900 oeuvres et en a fait le seul musée européen dédié aux artistes aborigènes d’Australie.
Dans son expo actuelle, intitulée Résonances, qui se termine ce 25 avril, la Fondation met en liaison l’art aborigène et celui d’’artistes préoccupés eux aussi de ces rapports métaphysiques à la terre, au ciel et au reste du vivant : Lee Ufan, Saraceno, Gormley, Kapoor, Yayoi Kusama, Kiki Smith, David Nash,…

Aboriginalités, au musée des Beaux-Arts, Bruxelles, Jusqu’au 1er août