Vierges sages et vierges folles à Tournai
Autour de deux célèbres sculptures de Rik Wouters, le musée analyse le rapport entre l’artiste et la femme.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dbef88af-a777-4e76-9966-40b1fd6e9729.png)
Publié le 07-04-2021 à 08h42 - Mis à jour le 09-04-2021 à 10h07
:focal(1275x979:1285x969)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/WCN3JMLRRNBALPILQ57RJB42BI.jpg)
Le musée des Beaux-Arts de Tournai, oeuvre très originale de Victor Horta, retrouve peu à peu son lustre. Le nouveau directeur, Julien Foucart, a enlevé les cimaises qui bouchaient les nombreuses ouvertures entre les salles et qui font l’originalité du lieu, et a commencé à dégager les verrières pour laisser entrer à flots, la lumière naturelle. Fin 2023, débuteront les grands travaux de rénovation-extension et le musée rouvrira en 2026.
En attendant, Julien Foucart poursuit une série d’expos mettant en lumière la richesse des collections et d’abord le legs Van Cutsem mort en 1904. Sa collection fut léguée à Tournai après que l’Etat belge l’ait refusée à cause d’un nu voluptueux sur une plage de Léonce Legendre (le tableau est exposé à l’entrée).

La deuxième expo inventaire porte le titre La folle danseuse ou Les soucis domestiques; Figures féminines dans les collections du Musée. Un intitulé renvoyant à deux sculptures célèbres de Rik Wouters prêtées par la collection Belfius et qui sont parfaites dans le grand atrium. Elles représentent Nel, la compagne et modèle du sculpteur, dans des attitudes aussi opposées que celles, dans la parabole de Jésus, des vierges sages et des vierges folles.
Dans l’une, elle est songeuse et repliée sur elle-même. Dans l’autre, exubérante et nue, elle danse « comme une folle », en équilibre sur une jambe, jetant l’autre en l’air, comme ses bras, et avec sur la visage un sourire de béatitude. Rik Wouters avait découvert la grande danseuse Isadora Duncan au théâtre de la Monnaie en décembre 1907 et fut subjugué par celle qui révolutionnait la danse (avant de mourir stupidement étranglée par sa propre écharpe de soie prise dans les roues de sa décapotable). Il demanda alors à Nel de prendre la pose. Celle-ci expliquera que ce fut éreintant de reprendre continuellement une attitude en complet déséquilibre.

Renoir et la femme
Aux collections s’ajoutent les interventions discrètes de deux artistes contemporaines: l'Afghane Kubra Khademi (née en 1989) dont on voit l’armure aux formes très sensuelles qu’elle a revêtue dans les rues de Kaboul. Une vidéo montre sa performance quand elle fut houspillée et menacée par la foule mais qu’elle avance bravement pour affirmer sa liberté. Elle dut fuir son pays et se réfugier à Paris. Les photographies d’Hélène Amouzou, photographe venue du Togo et vivant à Bruxelles accompagnent le parcours, auto-portraits interrogeant sa place floue dans la société belge.
Car c’est le regard porté par les artistes sur la femme -tour à tour, Pénélope, Vénus, Marthe, Madeleine, Carmen ou Suzanne- qui est le fil de l’expo. Dans des vitrines, on revoit les traces des stéréotypes à l’égard des femmes, comme le dénonçaient les Guerilla Girls quand elles affichèrent qu’au Met Museum à New York, moins de 5 % des œuvres d’art moderne étaient créées par des femmes tandis que 85 % des nus étaient féminins ! On lit aussi cette phrase de Renoir qui stupéfie aujourd’hui : « La femme artiste est parfaitement ridicule mais je suis quand même partisan des femmes chanteuses et danseuses. »

L'exposition met bien en évidence la richesse des collections (essentiellement des peintures et sculptures de 1850 à 1920) avec par exemple: Louis Anquetin doué contemporain de Toulouse-Lautrec, et son Etude de femme (1890), Émile Claus et le portrait mélancolique de sa femme (1900), Henri De Braeckeleer et son Atelier (1873), un Khnopff envoûtant, un Toulouse-Lautrec mystérieux, Henri Fantin-Latour et le Portrait de Miss Sarah Budget (le musée fait un focus sur ce grand peintre dont il possède un bel ensemble d’oeuvres).
L’intérêt de ces inventaires est aussi de découvrir des peintres trop méconnus comme Edouard Agneessens mort à 43 ans, en 1885 dans un centre psychiatrique d’Uccle et dont les portraits ont une force remarquable.
Le musée a aussi sorti de ses réserves de nombreux dessins préparatoires ou académiques.
Et bien sûr, on peut revoir dans les deux salles permanentes, les deux Manet, chefs-d’oeuvre absolus ou dans un genre opposé les immenses tableaux d’Emile Gallait dont celui sur la peste à Tournai en 1092. Déjà l’épidémie.

>>> « La Folle danseuses ou les soucis domestiques », Musée des Beaux-Arts de Tournai, jusqu’au 12 septembre.