La Louvière en miroir pandémique
Bonne démarche populaire au Mill, à La Louvière. Une collection communale y raconte la crise par le bout de la lorgnette. Historique.
Publié le 19-04-2021 à 17h58 - Mis à jour le 23-04-2021 à 13h50
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Cette exposition est, en soi, une réussite et le public y court. Une bonne chose ? Sans doute. Même si, disons-le tout net, il y a un lot de croûtes notoires dans un ensemble avouant surtout le charme de ses thématiques successives, qui font référence à la situation coronarienne, et l’avantage de mettre en scène des artistes hennuyers ayant jalonné l’histoire de la ville, de la fin du XIXe à aujourd’hui.
Pensée et montée par Benoît Goffin, le directeur du Mill, et Céline Christiaens, ce florilège local donne à voir des peintures qui, quelque part, témoignent de quotidiens avouant des similarités avec celui qui nous occupe depuis que le coronavirus règle, parfois par l’absurde, l’aléatoire de nos vies.
Une autre originalité du parcours réside dans le choix de tableaux n’ayant plus été vus de longue date. Aucun d’eux ne fit partie des "Trésors cachés" de La Louvière.
"Sauvez des vies", "Restez à la maison", "Se mettre au vert", "On va voir la mer ?", "Envie d’évasion", "On dirait le sud", "Ça s’arrête quand ?", "En avant y a pas d’avance !"
Les propos d’un directeur
Né en 1977 à Namur, historien de l’Université de Louvain-la-Neuve, professeur à l’ULB, ce passionné de jeu de balle (il a écrit des livres sur le sujet), de foot et de vélo, voue, sa priorité, un intérêt pour l’art de la fin du XIXe à 1940. Ce qui ne l’empêche pas de suivre de près la création contemporaine.
En reprenant la charge directoriale d’un musée, que Valérie Formery, entreprenante directrice soucieuse d’ouvrir le musée à autre chose que son passé voué à l’œuvre d’Idel Ianchelevici, sculpteur décadent, avait orienté, avec bonheur, vers une création actuelle autrement convaincante, Goffin se retrouvait au pied du mur.
Comment concilier les deux tiers du bâti orchestrés obligatoirement autour du corpus de l’artiste roumain et proposer de l’art moderne plus en prise sur notre actualité ?
Les propos du nouveau directeur éclairent le défi : "Il me revient de vulgariser des œuvres qui ne sont pas forcément du goût du public, en leur donnant un contexte, comme nous le faisons dans l’exposition ‘Jour après jour’. L’histoire me passionnant, je me retrouve dans cet accrochage qui rappelle comment on vivait à La Louvière en fonction des péripéties historiques. Et il réactualise des artistes hennuyers passés de mode après avoir eu des adeptes en des temps révolus."
Clin d’œil et résurgences
L’exposition s’ouvre sur un clin d’œil à Henri Jessen, qui fut peintre décorateur chez Boch. Son Portrait d’Albert Gusbin ou L’homme à la longue barbe, date de 1893. Alors que nos coiffeurs ont vécu des fermetures successives, l’allusion est cocasse.
Les praticiens et scientifiques ès pandémies l’ont signalé suffisamment : "Restez chez vous", respectez les gestes barrières. Semonces entendues jusqu’à la nausée. D’Alexandre-Louis Martin, Les humbles, de 1933, entre naturalisme et symbolisme, nous ramène, de loin, à Anto Carte.
Plus émouvant, le portrait de Sarah Van Kerkhove par Fernand Liénaux s’accompagne de la plaque mortuaire de la jeune femme, infirmière "décédée en service le 21 février 1923".
Avec la pandémie, les rues se vident. Autre clin d’œil du parcours, Le drapeau blanc, 1954, d’A.G. Berthelot, assez naïf, rend un hommage fraternel à celui qui s’était spécialisé dans les lettrages des devantures des cafés de La Louvière. Lui qui, sur sa propre maison, avait écrit "Mort aux vaches", une sentence qui nous rappelle quelque chose !
Le confinement : pour d’aucuns, La cuisine avec Léon Devos, du groupe Nervia ; c’est aussi, d’Eric Adam, graphiste local, un clin d’œil au télétravail par Windows, 2011, interposé.
Se mettre au vert et voici L’eau vivante et les cerisiers en fleurs du naïf Dirk Bos ; L’enfant au jardin, d’Andrée Bosquet ; Les loisirs de l’ouvrier, du Loup Pierre Dequêne.
On va voir la mer ? et Samuel Coisne y va d’une carte de Belgique pandémique, conçue au départ de bouts de tissus entremêlés, quand Taf Wallet y va d’une Terrasse, qui fait fort penser à Wolvens, maître dans le genre. Clin d’œil à Sophie Wilmès, une sorte de lointain kayak en fer, de Nathalie Vanlippevelde, quémande un sourire.
De la mer à l’évasion, il n’est qu’un pas et, pour Frans Depooter, ce fut, le coquin, une Embellie à Camaret, en 1964 ; La guinguette, d’Alexandre Denonne donne le change à un dessin de Jacques Ochs, ancien collaborateur du Pourquoi Pas ?, champion d’escrime, qui représenta la Belgique aux J.O. de 1912.
L’histoire seule mobilise
Si le parcours offre le charme de l’inattendu, les surprises plastiques n’y sont guère légion. L’histoire seule mobilise. À frontières ouvertes, déplacements jouissifs et, de Léon Devos à Louis Buisseret ou Paul Leduc, les variantes mobilisent nos propres souvenirs.
À la question "Ça s’arrête quand ?", nous voudrions tous une réponse qui ait du sens et donne des perspectives. À propos d’autre chose, bien sûr, mais de pareil questionnement, voici Calisto Peretti et L’enfant nu, Michel Jamsin avec La jeune fille et la mort, Hélène Lecoge et Agressivité dans la nuit, peut-être le plus beau tableau de la démonstration. Il date de 1989.
Quant à La rentrée scolaire si bouleversée, reportée, mal définie, elle a quelque chose à voir avec l’affiche de 1976, de Pierre Alechinsky, Y a pas d’avance !, avec le pupitre en métal et pierre bleue, 1999, d’Emmanuel Anciaux, pièce à sortir du lot, avec La rentrée de l’excellent graveur Thierry Lenoir, avec l’installation surprenante d’Élodie Antoine, Le monde du travail, de 2008.
C’est là, la meilleure salle du parcours, comme s’il fallait en finir avec du lourd. Claire Kirkpatrick et sa Spitaels, de 1992, Philippe De Gobert et son Atelier 13, de 1996-98, le subtil humoriste Péji… Ceux-ci confèrent un langage choisi à une expo qui a le chic d’attirer un public qui aime se rafraîchir la mémoire. L’art contemporain, c’est autre chose, ce sera pour une autre fois !
Jour après jour Art moderne régional Où Le Mill - Musée Ianchelevici, place Communale, 7100 La Louvière. www.lemill.be Quand Jusqu’au 22 août.
