Des tableaux réalisés à la fumée, un projet novateur reliant art contemporain et esprit des ancêtres
La jeune artiste congolaise Géraldine Tobe a un ambitieux projet d’exposition mêlant objets anciens et art actuel.
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Publié le 19-05-2021 à 09h32 - Mis à jour le 19-05-2021 à 16h01
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Dans le bâtiment Braem du rectorat de la VUB, à Bruxelles, des grands tableaux ont été posés qui, d’emblée, frappent le visiteur. Réalisés avec de la fumée, ils montrent des formes quasi psychédéliques, où on voit des masques anciens se mêler à des figures mystérieuses, à des corps désarticulés et dansants.
Géraldine Tobe, 29 ans, fait partie de la jeune génération des artistes de Kinshasa. Elle a connu une enfance difficile, considérée enfant-sorcier par des pasteurs évangélistes prenant ces enfants comme boucs émissaires pour expliquer pourquoi tout va mal. Elle a vu son frère sombrer dans la maladie mentale. Mais elle avait une grand-mère Luba du Kasaï qui pouvait lui transmettre son ancienne culture, d’avant la colonisation.
La peinture l’a sauvée. Elle a suivi des cours à l’institut des Beaux-Arts de Kinshasa avant de brûler tout son travail en 2014, le trouvant trop classique. En brûlant ses peintures, c’était comme, dit-elle, si elle récupérait leur âme.
Depuis, elle place ses toiles à l’horizontale au-dessus d’elle, après les avoir couvertes de formes découpées d’objets sacrés anciens et de personnages. Elle passe sous le tableau la flamme d’une lampe à pétrole qui dépose de la suie. Ensuite, elle enlève les formes qu’elle avait collées.
L’usage du feu comme pinceau et la performance liée à la peinture est un moyen, dit-elle, de relier le monde immatériel et le monde physique.
En résidence à Tervuren
Elle bénéficia d’une résidence de deux mois à l’Africa museum de Tervuren en 2019. Avec ses collages, elle rassemblait des fragments de l’histoire, comme les masques qu’elle faisait sortir des réserves du musée. Elle expliquait : « ça me permet de connaître et faire connaître notre histoire et nos traditions. On s’est tellement séparé de la tradition depuis l’arrivée du christianisme que les Congolais ne connaissent plus la vraie histoire de leur pays. Pour beaucoup d’entre eux, nos œuvres d’art sont de la sorcellerie. La conservation de ces collections dans le musée de Tervuren, me permet aujourd’hui, par cette résidence, de réveiller ces oeuvres, de faire resurgir à la surface ces histoires oubliées, de commémorer les esprits de nos ancêtres et de les conserver. »
Elle a initié depuis, avec l’aide comme commissaire d’exposition, d’Hans De Wolf, professeur à la VUB, un vaste projet L’esprit des ancêtres. Elle a sélectionné 13 jeunes artistes de différents pays africains qui vont travailler en adoptant pour un temps des objets ethnologiques africains de nos musées européens pour « leur rendre leur puissance spirituelle, retrouver les racines africaines et les mythes fondateurs effacés par la colonisation et les confronter à l’art d’aujourd’hui ».
Ce projet, encore à préciser, de reconnecter une génération de jeunes artistes africains avec leur culture et leur spiritualité ancestrale devrait se concrétiser, si tout va bien, en 2022 à Kinshasa dans une double exposition au nouveau musée d’art contemporain construit par les Coréens et au musée de l’Echangeur.
Ce projet est aussi une manière de préparer dans la population africaine la restitution de certains objets anciens vers leurs pays d’origine pour qu’ils puissent s’y inscrire dans une réécriture de l’histoire culturelle de ces pays.
Le projet intéresse déjà de nombreuses personnes. Pour Kathryn Brahy, déléguée générale de Wallonie-Bruxelles au
Congo, « Géraldine est une personne et une artiste formidable et j’espère bien pouvoir soutenir ce projet. » Le professeur Benoît Henriet, spécialiste à la VUB de l’histoire coloniale, trouve également que c’est une excellente idée. Les artistes choisis par Géraldine Tobe ont collaboré avec des étudiants en histoire de la VUB, qui les ont aidés à trouver de la documentation sur les oeuvres anciennes autour desquelles ils voulaient travailler. Il y voit une démarche culturelle et artistique que l’on pourrait qualifier de “décoloniale”.