Le monde underground d’Anne Imhof secoue le Palais
La grande artiste allemande occupe totalement le Palais de Tokyo pour une oeuvre totale et magnifique.
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Publié le 20-05-2021 à 20h02
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En 2017, à la Biennale de Venise, ce fut le choc, une gifle couronnée par un Lion d’or bien mérité. On découvrait Anne Imhof. Il fallait faire deux heures de file pour suivre sa performance Faust, saisissante, orchestrée tout au long de la Biennale.
Née en 1978, elle avait déjà fait sensation en 2016 avec ses opéras performances sur la peur (Angst) à la Kunsthalle de Bâle, la Hamburger banhof de Berlin, et à Montréal. A moins de 40 ans, elle était choisie pour créer à Venise.
Autour du pavillon, elle avait placé de grandes grilles avec deux dobermans noirs inquiétants. Une dizaine de performeurs habillés de noir s’agrippaient aux clôtures. A l’intérieur, un plancher de verre surélevé couvrait tout, sur lequel les visiteurs observaient. Les performeurs se glissaient en-dessous, comme des prisonniers ou ils montaient sur des balcons de verre vertigineux et sans parapet. Une musique gothique, black metal, envahissait l’espace.
Tout était transparent mais enfermé et oppressant, gardé par des cerbères, et nous en étions les voyeurs.
Dans ses oeuvres, Anne Imhof réussit à capter notre époque et à donner à sa vision, une forme forte, loin de tous les conformismes.
On comprend pourquoi le Palais de Tokyo à Paris lui a proposé alors de prendre possession jusqu'à la fin octobre, de l’ensemble du Palais de Tokyo à Paris, soit 22000 mètres carrés. Elle a complètement désossé le Palais pour le retrouver brut, jusqu'aux caves. Le lieu est redevenu ce qu’il était lorsque les architectes Lacaton & Vassal (prix Pritzker cette année) l’avaient traité il y a quinze ans.
On n’avait jamais revu le Palais ainsi, avec des trouées qui génèrent de nouvelles perspectives, des points de fuite, des béances qui invitent à plonger dans l’obscurité, jusqu’à l’underground du Palais de Tokyo.
Sigmar Polke
Anne Imhof a réussi à maîtriser cet énorme espace pour composer une oeuvre totale, de labyrinthes faits de grands verres récupérés, de lieux privés et publics, de chemins et de jeux infinis de reflets, d’apparition et de disparition.
L’ensemble est envoûtant avec le côté underground et la musique rock d’Eliza Douglas, la compagne d’Anne Imhof qui est aussi performeuse et peintre.
Sur les murs brut, on découvre des oeuvres souvent très belles d'une trentaine d’artistes invités dont un sublime ensemble de Sigmar Polke que Pinault avait montré à Venise: la série Axial Age de six tableaux de 3 m sur 5 m couverts de laques royales et de couches de peintures mystérieuses comme des trous noirs. On y retrouve le mauve dangereux, le brun des profondeurs, les reflets olive ou noir rouge selon l’angle d’où on les observe. Parfois, des figures d’astronomes anciens s’y superposent ou ce sont six enfants, penchés sur le tableau même, dans une mise en abîme de notre propre regard sur la peinture.

On découvre aussi deux belles vidéos d’Anne Imhof filmant Eliza Douglas fouettant en vain les vagues de la mer, ou s’enfonçant dans la nuit derrière un parterre de lys jaunes, entre ombre et lumière, entre vie et mort, entre tableau vivant et nature morte.
David Hammons
Anne Imhof montre aussi ses grands monochromes du soleil couchant, ou le fantôme d’un dos humain. Elle dévoile ses dessins très sensibles qu’elle place à côté de ceux de Géricault qu’elle admire tant.
Ce travail d’Anne Imhof s’intitule Natures mortes, représentation allégorique du temps qui passe et de la mort mais aussi célébration du vivant. Si on sort secoué de cette exposition, on en sort aussi plus vivant.

On découvre de beaux tableaux de Cy Twombly et Joan Mitchell, des films de Sturtevant (un grand chien courant sans fin comme notre destinée), des photos de Cyprien Gaillard. Au fond de la cave, une vidéo montre David Hammons (que célèbre la collection Pinault à la Bourse de Commerce)` en train de shooter sans cesse sur un seau dans la nuit de Harlem, et le bruit résonne dans tout le palais.
Une photographie de Wolfgang Tillmans montre le calme d’une homme endormi au bord de l’eau et la vidéo de Trisha Donnely semble trouer le mur et nous inviter vers l’extérieur. Mais n’hésitez, suivez plutôt Anne Imhof, vous ne regretterez pas.
--> Anne Imhof, au Palais de Tokyo, Paris, jusqu’au 24 octobre, tous les jours sauf mardi