Les affiches de Folon, esthétique de l’efficacité
Ponte de l’économie, Jean-Michel Folon imagina près de six cents affiches d’une simplicité poignante d’inventivité et poésie.
Publié le 17-05-2021 à 22h07 - Mis à jour le 11-05-2022 à 15h19
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Avec la simplicité pour pierre angulaire, Jean-Michel Folon (1934 - 2005) parvient à raconter des histoires en une seule image. À travers un panorama de quelque cent cinquante affiches, l'exposition éclaire une des facettes les plus passionnantes de l'artiste. Un travail en prise directe avec l'actualité, dans lequel Folon ne se prive pas de dénoncer, avec une tendresse teintée d'insolence, toute l'absurdité de notre société. Des images pleines de sève, jetant un regard acide mais lucide sur notre humanité. Un univers d'une rare cohérence, guidé par la formule de Mies van der Rohe,Less is more. Et pour cause : Folon joue la carte de l'économie radicale des moyens.
Conçue par Antigone Aristidou et Noémie Warion, la scénographie - s’articulant en quatre parties - s’inspire directement d’un thème cher à l’artiste : la course du soleil, de l’aube au crépuscule. Les espaces s’habillent d’un dégradé de couleurs enveloppantes à souhait qui accompagne, pas à pas, notre voyage.
L’expression de la ligne, l’émotion de la couleur
Conscient du rôle crucial d'une affiche dans le succès commercial d'un produit, Folon observe avec méfiance le monde de la publicité qu'il juge sévèrement et accuse régulièrement de plagiat. Dès lors, il choisit avec le plus grand soin, et une réelle parcimonie, les projets commerciaux auxquels il prête son image. On découvre dans la première partie, qui explore ses réalisations commerciales, ses participations aux campagnes de publicité pour les machines à écrire et les calculatrices de la marque Olivetti. L'exposition nous apprend qu'il répond, en 1983, à une demande de Steve Jobs, directeur mythique d'Apple, qui lui demande de créer un Mac Man ou un Mister Macintosh. L'idée d'humaniser les ordinateurs séduit notre artiste qui imagine plusieurs esquisses, mais le projet n'aboutira pas.
Créateur en vogue, Folon fut sempiternellement sollicité pour promouvoir des événements culturels, scientifiques et sportifs. Chaque projet est un nouveau défi à relever : bavardes à souhait, ses narrations se font souvent par la "contamination" ou l'hybridation d'un élément par un autre, procédé dans lequel on reconnaît aisément l'héritage formel des surréalistes. Dénominateur commun de ces affiches ? La poésie. Son crayon imagine le terrain de tennis de Roland-Garros en une fenêtre sur un paysage insoupçonné. Plus loin, une clef monumentale attend d'ouvrir la perspective centrale du Théâtre olympique de Vicence. Dès les années 60, l'artiste est sollicité pour la création d'affiches de cinéma (L'amour existe de Maurice Pialat, Paris vu par, film collectif qui réunit les courts-métrages de six célèbres réalisateurs, Quelque part quelqu'un de Yannick Bellon…). La décennie suivante le rapproche encore du milieu cinématographique. Jean-Michel Folon est aussi devenu acteur ! Par amitié, il joue quelques rôles taillés sur mesure : des personnages doux et rêveurs.

Des combats et des convictions
Toujours dans les années 70, il se détache de plus en plus des projets commerciaux pour se tourner vers ce qu’il considère comme fondamental : la défense de l’environnement et des droits de l’Homme. Profondément engagé, il imagine souvent gratuitement, pour des causes qui lui tiennent à cœur, des affiches imprégnées d’un grand sens éthique. En 1977, il débute une longue collaboration avec Amnesty International. Climax en 1988. À l’occasion du 40e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, l’ONG invite Folon à illustrer une nouvelle édition de cet "idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations".
Près d’un quart des affiches créées par Folon annoncent ses propres expositions (de la première en 1963 à la dernière en 2005). La quatrième partie de l’accrochage, intitulée "L’artiste et son double", permet d’observer son évolution, notamment en ce qui concerne la couleur qui s’immisce sous toutes ses formes. Des affiches qui convoquent régulièrement le personnage créé par Folon, quidam réduit à sa plus simple expression, un grand chapeau vissé sur la tête et un long manteau…
À travers cette sélection, on comprend que Folon fit invariablement rimer simplification et sophistication. Son langage est d’autant plus efficace qu’il se résume à un lexique de motifs simples et familiers, définitivement caractéristiques de l’artiste (flèches, personnages, masques, yeux, mains, oiseaux, arbres…), le plus souvent relevé d’une indomptable inventivité et d’un humour résolument décalé.
Les affiches de Folon Art graphique Où Fondation Folon, drève de la Ramée 6A, 1310 La Hulpe www.fondationfolon.be Quand Jusqu'au 7 novembre, du mardi au vendredi de 9h à 17h, les we et jours fériés de 10h à 18h.

Septembre 1988. J’ai huit ans
Alerte à la Madeleine de Proust
Une affiche me plonge instantanément, et avec une émotion qui me prend intensément la gorge, dans les souvenirs enfouis de mon enfance. Neufchâteau, septembre 88. Jean-Michel Folon s'associe à un élan de solidarité, organisé sous le patronage de l'Unicef, intitulé "1000 Jardins du Désert". Mille écoliers, dont une petite brune dans la lune de huit ans, composent le plus grand dessin du monde. Des pommes et encore des pommes. Nous avions chacun la responsabilité de dessiner et colorier un fruit étalé sur une feuille de près d'un mètre carré… Peut-être était-ce beaucoup moins ? Ce qui était certain, c'est que ces dessins (ou une sélection ?) furent étalés sur un terrain de sport. Je conserve en mémoire de vagues images de photographies aériennes qui immortalisèrent ce patchwork hors norme. Les dessins des enfants furent ensuite vendus au profit des enfants du Tchad souffrant de la sécheresse. Souvenir nostalgique d'une journée euphorique. (Gw. G.)
Beau livre
À l'occasion de l'exposition, un beau livre est édité aux Cahiers dessinés sous la direction de Frédéric Pajak. Il reprend une large sélection des meilleures affiches de l'artiste, éclairées par deux essais : l'un d'Alain Weill (ancien directeur du musée de l'Affiche à Paris), l'autre de Karl Scheerlinck (spécialiste de l'affiche belge). Ouvrage en vente à l'artshop du musée ainsi qu'en librairie. 39 €
En famille !
Exemple en terme d'attractivité pour les publics les plus variés, la Fondation Folon a, sans surprise, imaginé un riche programme à la mesure de son dynamisme. Coup de cœur absolu pour le livret pédagogique destiné aux enfants de 8 à 12 ans. Disponible à l'accueil, ce livret multipliant les jeux et questions-réponses accompagnera les enfants tout au long de l'exposition et leur apportera les clés de lecture pour décomposer une affiche et le mécanisme qui se cache derrière les signes fondamentaux utilisés par Folon.
Il a dit…
"Quelle plus belle destinée que celle d'une affiche. Vous l'avez faite. Les autres la comprennent. Vous travaillez pour la mémoire de la rue. […] Et si votre affiche est bonne, elle vivra en morceaux dans la mémoire des gens." Jean-Michel Folon, 1978.
"Les affiches qui concernent les droits de l'homme sont celles qui m'intéressent le plus, car elles touchent à des choses que j'ai envie de dire. Quand aux affiches de commande commerciale, évidemment, ça m'amuse davantage de faire des affiches de film ou pour le dictionnaire Larousse que pour des produits de consommation. Mais il m'arrive aussi d'en faire. […]" (p. 182 du catalogue, extrait d'un entretien de Jean-Michel Folon avec Paul Auge)