L’Église cherche à mettre de l’ordre dans son patrimoine
Les églises regorgent d’un riche patrimoine. En Wallonie, les évêchés ont lancé le Cipar pour le gérer davantage. La Région le soutient. Et la Fédération Wallonie-Bruxelles rédige un nouveau décret pour mieux l’encadrer.
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Publié le 24-05-2021 à 17h12 - Mis à jour le 25-05-2021 à 11h48
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Chaque église, chaque chapelle, chaque presbytère est une sorte de malle aux trésors. Le patrimoine mobilier de l’Église en Belgique et les collections qu’il comporte sont gigantesques. Sous chaque clocher du pays, des centaines, voire des milliers, d’objets patientent, pour la plupart issus des XVIIIe et XIXe siècles. Ce sont des tableaux, des statues, des habits ou objets liturgiques, des candélabres ou de l’orfèvrerie ancienne qui, tous, avec plus ou moins de qualités, témoignent des talents d’un artiste connu ou anonyme, de recherches artistiques et de la soif de Dieu.
Durant la deuxième partie du XXe siècle, ces objets ont pour beaucoup été snobés par les catholiques eux-mêmes. À la suite du Concile Vatican II, ils représentaient une culture jugée dépassée. Ce n’est que ces dernières décennies que l’Église se penche à nouveau sur son patrimoine mobilier, soucieuse de le préserver. En ce sens, les diocèses de Wallonie ont créé le Cipar, le Centre interdiocésain du patrimoine et des arts religieux.
"Soutenu par les pouvoirs publics, le Cipar est né il y a trois ans, de la volonté de coordonner les politiques patrimoniales des différents évêchés francophones, expliquent Christian Pacco, administrateur général, et Vinciane Groessens, collaboratrice du Cipar. Notre mission est de coordonner et de soutenir les services patrimoniaux du vicariat du Brabant wallon, des évêchés de Tournai, Liège et Namur-Luxembourg, à l’exemple de ce que fait notre homologue flamand, le Parcum. Nous organisons donc des formations, des journées d’étude, des expositions ; nous éditons des brochures pour conseiller et former le public et les fabriques d’église à la conservation - parfois très délicate - de ce patrimoine religieux."
"Ce que nous souhaitons, précise Christian Pacco, c’est que ce mobilier puisse rester dans les églises. Par le passé, il a pu être envoyé aux musées. Cela a permis de sauver des pièces, mais nous considérons qu’il trouve tout son sens en étant maintenu dans le lieu pour lequel il a été créé. C’est en ce sens que nous offrons des informations sur sa conservation, tout autant que sur sa signification. Notre objectif est donc de valoriser ce qui constitue le support matériel de la culture chrétienne et, par là, de notre société occidentale."
Un travail d’inventaire
Au cœur du travail effectué par le Cipar se trouve un large inventaire, en cours de rédaction, reprenant tous les objets que comptent les 2 500 clochers et 2 000 paroisses de Wallonie. Les membres des fabriques d’église qui le réalisent bénéficient d’un manuel pratique et d’un logiciel développés en collaboration avec l’Irpa, l’Institut royal du patrimoine artistique, important soutien du Cipar. Pour l’heure, un tiers des fabriques d’église ont répondu à cet appel, qui prendra la suite d’un premier inventaire réalisé il y a cinquante ans. "Entre les deux, on constate des pertes, parfois très dommageables, mais pas généralisées", souligne Vinciane Groessens. Pour veiller sur ce patrimoine, lutter contre les vols et aider les localités qui veulent en tirer profit, à travers des expositions par exemple, cet inventaire sera un outil incontournable.
L’avenir des fabriques d’église
Très volontaire, le Cipar œuvre cependant dans un environnement qui rend son travail compliqué. Les paroisses manquent de bras, les fabriques de bénévoles et de connaisseurs pour veiller et protéger ce patrimoine. "Le système des fabriques d’église, très efficace dans la gestion des lieux de cultes depuis 150 ans, arrive à bout de souffle, reconnaît Christian Pacco. Il manque en effet de bénévoles qualifiés pour prendre le relais des générations précédentes. Face à cette réalité, certains plaident pour une fusion des fabriques d’église afin qu’il en demeure une par commune. Je suis plus prudent. Pour qu’elles soient vraiment vivantes, les fabriques doivent rester en lien direct avec leur quartier ou leur village. Elles ne peuvent être trop larges si on veut que des bénévoles soient tentés de s’y investir. Je promeus donc de petites fusions, et l’instauration de groupes d’entraide entre fabriques." "C’est aussi pour ces petites fabriques que nous existons, pour les aider, les conseiller et valoriser leurs initiatives qui dynamisent des quartiers et des villages autour des églises et de leur patrimoine", conclut Vinciane Groessens.
La Fédération Wallonie-Bruxelles élargit son droit de regard
Différentes polémiques relatives à la gestion du patrimoine religieux ont éclaté ces derniers mois. Depuis avril, la propriété et l’usage de la châsse de sainte Begge à Andenne sont revendiqués aussi bien par le bourgmestre que par la fabrique d’église locale. En janvier, le manque de légalité et de professionnalisme de la restauration de plusieurs œuvres de la collégiale Sainte-Waudru de Mons avait été épinglé par les pouvoirs publics. En de telles situations, éclairer de qui relève la propriété ou la responsabilité de ce patrimoine impose de déplier les replis de l’Histoire et une législation pas toujours claire à ce sujet. Plus profondément, ces dossiers illustrent le manque de collaboration, de soutien et de dialogue qui existe encore régulièrement entre les pouvoirs publics et les fabriques d’église.
C’est pour pallier ces manquements que la ministre de la Culture en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard (Écolo), travaille actuellement sur un nouveau décret relatif à la gestion du patrimoine culturel mobilier.
La nécessité d’un travail main dans la main
Ce décret, qui doit encore suivre son parcours législatif, offrira à la Fédération Wallonie-Bruxelles un droit de regard plus étendu sur le déplacement, la destruction, l’aliénation ou la transformation des biens culturels mobiliers en Wallonie. Et cela, qu’ils soient classés ou (ce qui n’était pas le cas) non classés. Sauf modification du décret, les fabriques d’église de Wallonie devront ainsi demander l’autorisation à la Fédération pour une vente, un déplacement ou une restauration. Si la Fédération ne renvoie pas sa réponse dans le mois qui suit la demande, cette réponse sera présumée positive. S’il est accompagné d’arrêtés d’exécution efficaces, ce texte devrait permettre de préciser les prérogatives des différents acteurs entourant ce patrimoine, et de tisser des liens plus étroits entre la Fédération et les fabriques.
"Une législation plus claire et plus stricte est essentielle, se réjouit Christian Pacco, qui souhaite également que l’aide aux fabriques soit renforcée. Historiquement, ces fabriques ont pour mission l’organisation du culte catholique. Aujourd’hui, dans les faits, elles deviennent de plus en plus des gestionnaires de patrimoine, sans pour autant en avoir les compétences, ni les ressources. Elles doivent être aidées dans cette nouvelle mission. C’est un rôle que le Cipar veut remplir, mais il ne pourra le faire qu’en collaboration étroite avec les pouvoirs publics."
Chef de la cellule Recherches en histoire de l’art et inventaire à l’Irpa, Pierre-Yves Kairis acquiesce à titre personnel. "Au vu des pertes et des dégradations subies par le patrimoine mobilier religieux ces dernières décennies, le Cipar est une initiative remarquable et attendue. Je souligne cependant que c’est l’Église qui prend le relais d’un travail qui aurait dû être pris en charge par les autorités publiques. Que le Cipar soit donc en partie soutenu et financé par la Région et la Fédération, qu’un décret détermine davantage les droits et les devoirs de chacun, ce sont des nouvelles positives en vue de l’avenir de la gestion du patrimoine."
Un réseau et un musée
Près d’un tiers des plus de 200 œuvres mobilières classées à titre de "trésor" par la Fédération Wallonie-Bruxelles est aux mains de structures d’Église, note le Cipar. C’est le cas par exemple de la châsse des reliques de saint Remacle à Stavelot ou de celle de sainte Gertrude à Nivelles. Les fabriques n’ont cependant pas toujours ni les compétences ni le financement pour veiller sur un tel patrimoine. Le Cipar met donc en place un réseau entre toutes ces fabriques auxquelles incombe une telle responsabilité pour qu’elles puissent partager leurs expériences de gestion. Et cela d’autant plus que la liste de ces "trésors", entamée en 2010, est amenée à croître largement dans les prochaines années.
"Ceci n’est pas un saint." Soutenu par le Cipar, le Musée diocésain de Namur propose un nouveau parcours qui, par une scénographie renouvelée, interroge la place et le rôle des images dans le christianisme. "Ce nouveau parcours est une étape importante pour le Musée en voie de redynamisation", souligne le communiqué officiel. "L’objectif est qu’il devienne une vitrine vivante pour les œuvres mises en dépôt par les fabriques d’église, ainsi qu’un véritable écrin pour le Trésor de la cathédrale de Namur."
>>> Rens. : www.musee-diocesain.be.