Shilpa Gupta parle en poètesse de la violence du monde
Le Muhka à Anvers propose une fort belle exposition de la grande artiste indienne Shilpa Gupta.
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Publié le 28-05-2021 à 08h03 - Mis à jour le 28-05-2021 à 08h04
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L’artiste Indienne, Shilpa Gupta, née en 1976 à Bombay, où elle vit toujours, utilise tous les supports : vidéo, installation, photos, médias interactifs, pour interpeller le spectateur sur le monde dans lequel nous vivons. Elle s’intéresse aux malentendus, aux préjugés, au racisme, au sens de l’histoire, à notre obsession sécuritaire, à la réception de l’art par le public, aux frontières physiques et mentales qui nous divisent.
On a souvent eu le plaisir de voir ses oeuvres, de la Biennale de Venise, à la Documenta de Kassel, en passant par la Galleria Continua qui la représente. Le Muhka a eu la belle idée de proposer une rétrospective de son travail à la fois très poétique et fortement politique, des vingt dernières années.
Ce qui l’inspire est d’abord le monde qu’elle voit autour d’elle à Bombay devenue Mumbai. Les conflits entre Hindous et Musulmans l’ont particulièrement interpellée. Dans une de ses premières interventions qu’on revoit au Muhka sous forme d’un « magasin de fioles de sang », elle vendait dans les trains un flacon de faux sang avec, dessus, le verbe « blame" (blâmer). Elle expliquait qu’on pouvait y voir à sa guise, du sang d’Hindou ou de Musulman (le sang est le même), et que ce flacon permettait d’assouvir ensuite sa haine, chez soi (« Vous blâmer me procure un tel bien-être »).

A Londres, en pleine hystérie post-11 septembre, elle distribuait des sacs marqués "ce sac ne contient pas d’explosifs", (avec le "ne pas" un peu estompé). Les gens se promenaient avec ce sac interpellant : sont-ils des terroristes, est-ce encore de l’art si c’est un sac ? Au Muhka elle a déposé sur des tables des dizaines d’objets saisis aux aéroports comme dangereux et qui paraissent bien inoffensifs tous joliment emballés dans des petites enveloppes de toile.
Montagne de savons
Au Muhka, elle a construit une montagne de 4000 briques de savons couleur chair au parfum de savon pour bébé, avec chaque fois, gravé, le mot « Threat » (Menace). Elle invite les visiteurs à en prendre une et à se laver chez eux avec ce savon "chair" jusqu’à effacer ce mot Menace qu’on nous assène sans cesse. Elle demande au public de laver ainsi collectivement une menace invisible et d’envisager une société reliée par une responsabilité collective plutôt que par une peur fabriquée.
Dans une salle maintenue obscure, un énorme nuage noir « chantant » est accroché au plafond, constitué de 4000 microphones diffusant les bruits indistincts de la rue et des discours qui nous hypnotisent, même durant nos nuits.

Dans plusieurs salles, elle présente un panneau d’aéroport où les lettres qui tournent bruyamment aboutissent à former des phrases interpellant sur la vie et l’amour : nos vrais grands voyages.
Dans une installation interactive qui plaira même aux enfants, l’ombre du spectateur se met à interagir avec l’environnement: une fenêtre qui s’ouvre, un vol d’oiseaux qui brusquement se lève, une petite fille qui vient pour parler à votre ombre.
Le Muhka a repris son installation de la Biennale de Venise où elle avait posé cent lutrins sous cent micros. En se promenant dans cette forêt, on entend les textes de 100 poètes qui furent emprisonnés jadis et aujourd’hui pour des raisons politiques. Sur tout un mur, elle montre des dessins très fins de poètes emprisonnés derrière des cadres de bois en forme de grilles de prison.
Sur une étagère, elle a posé 100 livre représentés par cent couvertures en acier, tous écrits par des écrivains qui ont dû choisir un pseudonyme pour des raisons politiques, de genre ou de marketing.
Shilpa Gupta cherche chaque fois la manière la plus efficace pour toucher un grand public et diffuser ses questions fondamentales dans une forme singulière et neuve (on conseille de bien lire les explications chaque fois en français, sur les cartels).
Elle parle du mensonge et de la vérité, du désir, des conflits, des frontières et de la censure. Des œuvres engagées, marquées par l’Inde mais devenues universelles.
Shilpa Gupta: « Aujourd'hui s’achèvera », au Muhka à Anvers jusqu’au 12 sept.