Pina Bausch bouleversa tout l’art de Guillermo Kuitca
A Villeneuve d’Asq près de Lille, belles expos de Laure Prouvost, Guillermo Kuitca, et Giorgio Griffa.
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Publié le 30-05-2021 à 08h53 - Mis à jour le 30-05-2021 à 09h08
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L’excellent peintre argentin Guillermo Kuitca (né en 1961 à Buenos Aires où il vit et travaille toujours), n’avait plus été exposé en France depuis son expo à la Fondation Cartier à Paris il y a vingt ans. C’est donc une redécouverte d’un artiste important d’Amérique du Sud que le Lam, à Villeneuve d’Asq, propose avec une rétrospective de 40 ans de création à travers ses dessins, peintures et installations.
Kuitca fut marqué dans sa jeunesse par la découverte de Pina Bausch venue jouer Café Müller à Buenos-Aires en 1981, au Teatro San Martin. Pour le jeune Kuitca ce fut un tel choc qu’il suivit la troupe à Wuppertal et que tout son art s’en trouva marqué.
On retrouve sur ses premières toiles les traces de Café Müller avec les nombreuses chaises de bistro qui obstruaient les mouvements des danseurs. Dans le superbe Double éclipse, il a peint un noir crépusculaire avec dans le bas, un amas de tables, matelas et chaises renversées. Ces espaces scéniques vides de ses premières oeuvres évoquent aussi les disparus de la dictature argentine.
À partir du milieu des années 1980, il place sur ses peintures des plans de villes, des cartes géographiques, ou des croquis d’architecture dont il déjoue, par le dessin et la peinture, la prétention à l’objectivité et le caractère rationnel. La présence obsédante d’un lit vide et de la mer comme horizon des possibles signent aussi la recherche d’un impossible chez soi pour ce descendant d’une famille juive ukrainienne ayant fui les pogroms au début du XXe siècle.
A La Tate Modern, il montra une grande installation, reprise au Lam, avec des lits de réfugiés placés côte à côte et sur chacun d’eux, une carte peinte d’une région d’Europe exprimant les traumatismes de l’histoire.
En Europe, c’est d’abord en Belgique qu’il se fit connaître à la galerie Elisabeth Franck de Knokke en 1985 et c’est Jan Hoet qui le choisit pour exposer à la Documenta de 1992. Un autre volet du travail de Guillermo Kuitca est ce qu’il nomme son travail « cubistoïde », fasciné par Picasso, apparu au milieu des années 2000 et que le Lam met en parallèle avec Sol y sombra, peint en 1912 par Picasso.
Dans cette trame « cubiste » qu’il peut répéter à l’infini, Kuitca insère des éléments narratif comme cette mystérieuse porte noire dans son grand tableau de 6,3 m.
A la Fondation Cartier à Paris, il était revenu avec David Lynch. Kuitca a représenté l’Argentine à la Biennale de Venise en 2007.



Giorgio Griffa et Laure Prouvost
Au Lam aussi, Giorgio Griffa (né à Turin en 1936), figure méconnue de l’Arte Povera qui ramène la peinture à l’essentiel : de grandes toiles non préparées, laissées brutes, sur lesquelles il peint des signes élémentaires et des couleurs pastel, et qu’il punaise simplement aux murs. Un peintre du mystère considéré comme l’un des artistes les plus radicaux de la néo-avant-garde italienne.
Laissant aller sa main sur de grandes toiles libres, posées à même le sol, procédant par gestes simples, Griffa invente, répète et réitère, avec de subtiles variations, un langage artistique qui, au-delà de siècles de culture, renvoie aux prémices de la création. Une belle révélation avec une jolie monographie éditée par le Fonds Mercator.

A la dernière Biennale de Venise, le pavillon français occupé par Laure Prouvost avait été un des plus appréciés. On peut revoir cette installation, entièrement réaménagée, au Lam, Intitulée Deep See Blue Surrounding You/ Vois ce bleu profond te fondre, elle entre cette fois en résonance avec la riche collection d’Art brut du musée.

On y retrouve, central, son animal fétiche, le poulpe symbole pour elle des échanges fluides et mouvants d’une société de plus en plus bigarrée. Dans une sorte de mer gelée, une pieuvre en verre et des objets échoués (smartphone, cigarettes, etc.) piégés dans l'eau solide.
Le coeur de l’installation reste le film beau et désarçonnant qu’elle avait présenté à Venise, un road movie décoiffant à travers une France différente, celle des vieux, des ruraux, des étrangers, des marges chaleureuses. Ceux qui l’accompagnent dans ce voyage sont acrobate, danseuse, rappeur, magicien, vieille dame indigne, superbe blonde, sage griot. Un film plein de fantaisie loufoque comme toujours chez elle, et d’une merveilleuse sensualité avec un kaléidoscope d’images hachées, de couleurs vives, de sentiments forts, et avec la mer comme horizon.
La section art brut du Lam a justement la forme d’un poulpe et Laure Prouvost a placé dans chaque tentacule, des oeuvres à elle, étroitement mêlées à celles d’artistes « insider » comme elle dit, préférant ce mot à celui d’« outsider art». « Je me sens très proche de ces oeuvres que je trouve très pures, très directes, souvent échappées d’une sorte de subconscient, de purs désirs de créer. Elles témoignent d’une obsession de se sentir vivant. »
Au Lam, à Villeneuve d’Asq, Guillermo Kuitca jusqu’au 26 septembre, Laure Prouvost jusqu’au 3 octobre et Giorgio Griffa jusqu’au 28 novembre, fermé le lundi