Bruno Verbergt: "Le Cinquantenaire a 30 ans de retard, il doit viser le meilleur"
En place depuis quatre mois, le nouveau directeur ad interim du musée d’Art et d’Histoire explique son ambition. Le Cinquantenaire peut devenir un grand musée européen, dans la catégorie du Rijksmuseum ou du Louvre.
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Publié le 11-06-2021 à 18h10 - Mis à jour le 11-06-2021 à 18h11
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En février dernier, à la surprise générale, le secrétaire d’Etat à la politique scientifique Thomas Dermine (PS) nommait Bruno Verbergt comme nouveau directeur ad interim au musée d’Art et d’Histoire à Bruxelles (le Cinquantenaire). Cette fois, l’Etat plaçait à la tête du musée un manager culturel de crise et non plus un scientifique venu du sérail.
« Mon avantage, nous dit-il, est d’être arrivé de l’extérieur. Déjà comme simple visiteur, je voyais tout ce qu’il y avait à faire. Ce musée a des richesses formidables : 500000 objets dans ses collections, 20000 m2 d’exposition. Il pourrait approcher les plus grands musées du monde comme le Rijksmuseum, le Louvre, le British museum, c’est notre grand musée national, mais on voit d’emblée qu’il a 30 ans de retard par rapport à ce qui se fait aujourd’hui dans des musées équivalents. »
Voilà douze ans que le musée n’a plus de directeur général nommé et voit à sa tête se succéder des directeurs ad interim qui n’ont pas les pouvoirs d’un directeur nommé. Il faudra encore attendre la nomination préalable à la fin de cette année d’un nouveau président de la politique scientifique (Belspo) pour qu’on puisse enfin procéder à la nomination des directeurs des dix établissements scientifiques fédéraux dont six n’ont que des directeurs ad intérim à leur tête !
Gestion culturelle
Bruno Verbergt, 57 ans, né à Louvain, a fait sa carrière dans la gestion culturelle, passé par Klapstuk à Louvain en danse contemporaine, devenant chef de cabinet de l'échevin de la culture d’Anvers Eric Antonis (CVP) qui mena Anvers 1993, capitale culturelle européenne. II fut de 2004 à 2013 directeur général pour la culture à Anvers en charge entre autres de huit musées. En 2016, il arrivait à l’AfricaMuseum à Tervuren, alors en pleine rénovation, pour gérer les services orientés vers le public. Il donne aussi des cours de gestion culturelle à l’université d’Anvers.
Bruno Verbergt détaille les points qui pénalisent le Cinquantenaire : « L’état du bâtiment d’abord. On a certes rénové les toitures mais on voit dès l’entrée, qu’un travail immense reste à faire. Regardez les sols fissurés dans le hall. Il y a tout un travail à accomplir pour donner au visiteur un meilleur confort de visite. Dans les grand musées actuels, tout est fait pour aider le visiteur. Ici, la scénographie, et même le type de vitrines, changent souvent et parfois d’une salle à l’autre, selon les départements concernés et les voeux des départements agissant dans le passé apparemment comme des baronnies indépendantes. Le visiteur passe ainsi brusquement d’un univers à un autre. S’il y a des explications pour les pièces présentées, il manque des textes explicatifs plus généraux sur une époque ou un art, croyant à tort que c’est connu déjà des visiteurs. Rien n’est en anglais alors que le musée est à deux pas du quartier européen et se doit de devenir un vrai musée européen avec un esprit européen. »
Bruno Verbergt rend cependant hommage à ce qui a déjà été réalisé ces dernières années par ses prédécesseurs au niveau de l’implication et la motivation du personnel et dans la création d’une « machine » administrative et comptable « en bon ordre de marche », dit-il.
Rôle sociétal
Son défi est de replacer le musée dans son rôle « sociétal » comme il l’a d’emblée expliqué à tout le personnel (230 personnes): « Dans une société de plus en plus multiculturelle, confrontée à de nombreux défis, le musée avec ses richesses donne des outils indispensables pour comprendre d’autres manières de vivre et de créer à des époques différentes et dans d’autres parties du monde. Savoir comment on vivait jadis, comment on s’exprimait par la culture. »
La mission de Bruno Verbergt est de faire du musée, dans son parc magnifique, un musée du XXIe siècle. Sans oublier que le Cinquantenaire gère aussi la Porte de Hal, le MIM, les pavillons chinois et japonais à Laeken.
Certes, rattraper ce retard de 30 ans et réaliser la mutation du musée coûtera cher. Le musée de Tervuren et ses 6000 m2 d’exposition a réussi ce pari, avec un budget exceptionnel de 75 millions et les résultats sont là. La première année, le musée, pourtant situé en périphérie, a triplé son nombre de visiteurs le poussant à 350000 visiteurs, un chiffre inévitablement retombé quelque peu par la suite.
Bruno Verbergt ne veut pas chiffrer les besoins du musée, qui « sont toujours infinis ». Un master plan est en préparation à la Régie des Bâtiments, et il prépare un nouveau contrat d’administration, « mais, dit-il, une simple règle de trois montre que le budget pour un musée trois fois plus grand, devrait avoisiner le triple de celui de Tervuren soit plus de 200 millions d’euros. A cela s’ajoute, un sous-financement depuis des années comme dans les autres musées fédéraux. Il manque une quinzaine de personnes actuellement dans le personnel, les procédures administratives d’engagement et d’achats sont très lourdes.»
N’est-ce pas utopique d’espérer de tels montants ? « Pendant des années, les gouvernements successifs confrontés à des choix budgétaires difficiles ont imposé des lourdes économies à la politique scientifique et aux établissements scientifiques fédéraux (dont les musées) considérés comme des matières résiduaires, ces compétences étant largement communautarisées. Les musées fédéraux et la politique scientifique semblent avoir été comme oubliés dans une armoire. Mais en même temps les gouvernements ont montré que s’ils le voulaient, ils pouvaient dégager ces financements. On l’a vu non seulement avec Tervuren mais aussi avec Bozar et la Monnaie ; et il y a eu des investissements partiels mais fort nécessaires, comme les toits de notre musée qui sont renouvelés, ou certaines salles chez nos collègues de l’IRSNB ou à la KBR. Il est temps d’inverser la tendance, d’être fier de nos musées fédéraux. J’étais fier d’être belge en octobre dernier quand la Belgique fut un des tout premiers pays européens à rouvrir ses musées, comme activité essentielle pour la population.»
Rouvrir les salles
Si la rénovation d’un musée si grand, si en retard, demandera du temps et de l’énergie, Bruno Verbergt veut déjà travailler à améliorer les choses avec les moyens actuels. Dès son entrée en fonction, il a fait rouvrir toutes les salles qui étaient ouvertes avant le Covid. « On a beaucoup parlé de la nécessité pour le musée des Beaux-Arts de fermer une partie de ses salles, mais au Cinquantenaire c’était pire, avec un musée qui n’ouvrait plus que les week-ends pendant la pandémie. »
En réorganisant il a pu rouvrir les salles. Il expliquait au personnel son projet d’un musée qui prend soin de ses visiteurs et de ses collections. Il mettait en place de nouveaux outils de management comme la création d’un service de gestion des collections, service qui n’existait pas, et la mise en place d’un nouveau comité de direction et d’une structure plus hiérarchique qui s’est substituée à une organisation lourde avec 17 coordonateurs.
Il sait qu’il faudra attendre un directeur nommé (il est candidat à ce poste), la finalisation d’un contrat d’administration et un financement pour avancer réellement dans ce projet. Mais selon l’adage, « aide-toi et le ciel t’aidera », il sait aussi qu’une gestion efficace du musée ne fera qu’aider à ce que le gouvernement prenne les décisions nécessaires.
Les expositions
Il reprend une série d’expositions déjà programmées comme celle sur l’art aborigène proposée par la Fondation Opale en Suisse, spécialisée dans cet art, et qui intégrera des pièces venues du musée de Tervuren. Ensuite, on refera une exposition des riches collections d’estampes japonaises du musée. Et, en 2022-2023, il y aura une année spéciale Egyptologie avec le centenaire de la découverte de la tombe de Toutankhamon et la mise en évidence du travail du grand égyptologue belge Jean Capart. Avec aussi une participation à Europalia Géorgie.
Bruno Verbergt a bien constaté un faible nombre de visiteurs pour un musée d’une telle richesse (moins de 100000 par an), mais « je ne veux pas qu’on accueille des expositions temporaires toutes faites. Le musée doit être attractif au départ de ses propres collections comme le sont le Louvre ou le British Museum. »
Le futur du musée d’Art et d’Histoire ne se situera, dit-il, « ni dans une autonomie complète, ni dans une fusion absolue avec les autres ESF » : « Si on veut arriver dans les meilleurs musées, nous devons travailler en réseau avec d’autres, cela augmente les richesses et les talents. Mais par contre une fusion serait inefficace. Je cite souvent l’exemple à Paris du Théâtre de la Ville juste en face du Théâtre du Châtelet, deux institutions semblables dépendant de la même ville et qui ont gagné à ne pas fusionner. »
Dans le cadre de ce « réseautage », Bruno Verbergt est ouvert à toutes les discussions et à tous les prêts autour des collections qui « ne nous appartiennent pas et sont un bien commun appartenant à l’Etat ». Pour l’Art Nouveau par exemple, qui se retrouve autant au Cinquantenaire qu’au musée des Beaux-Arts, il est prêt à des collaborations d’autant que la région bruxelloise vient d’annoncer que 2023 sera une année entièrement consacrée à l’Art nouveau à Bruxelles !
Dans une interview au Soir, Thomas Dermine fixait une date et confirmait cette grande ambition pour le ‘Cinquantenaire’ « et sa transformation en ‘Bicentenaire’ en 2030 pour le bicentenaire de la Belgique. On a des moyens pour célébrer dignement ce moment», disait-il.
« Je trouve l’idée forte, répond Bruno Verbergt, pour ce parc qui a joué un rôle important pour les grandes fêtes de la Belgique, son 50e anniversaire, le 75e, et les ouvertures des musées dans les années 1920-30. Et je me réjouis de me pencher sur ce projet fédérateur, avec entre autres, Paul Dujardin à qui on a demandé de rassembler des idées pour le développement de l’ensemble du site, fort de ses réalisations pour Bozar et, avec les autres institutions, pour le Mont des Arts. »