L’Arc de Triomphe empaqueté: le rêve fou se réalise
Ce samedi, on pourra admirer durant 16 jours, à Paris, l’Arc de Triomphe empaqueté par Christo. Une oeuvre posthume, inouïe, de celui qui marqua l’art par ses oeuvres monumentales et éphémères dans l’espace public.
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Publié le 11-09-2021 à 08h25 - Mis à jour le 13-09-2021 à 11h32
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Christo avait expliqué son dernier rêve: « L'Arc de Triomphe empaqueté ce sera comme un objet vivant qui va s'animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle. Les gens auront envie de toucher l'Arc de Triomphe. »
Jeudi dernier, le 9 septembre, le ciel était gris et une noria d’ouvriers s’affairaient autour de l’Arc de Triomphe à la place de l’Etoile, cernés par le flot tempétueux des voitures filant vers les Champs-Elysées.
L'empaquetage proprement dit de l'Arc de Triomphe (Wrapped en anglais) la grande oeuvre posthume de Christo avait vraiment commencé. Certes, les premiers travaux du chantier avaient déjà débuté le 15 juillet mais ce jeudi on voyait déjà les parois internes et les voûtes du monument recouverts de lourds drapés de toiles argentées, bougeant légèrement au vent, comme un immense décor d'un théâtre imaginaire. Comme une cathédrale voilée, comme une tente démesurée de voyageurs venus s'installer quinze jours au centre de Paris.
Tout sera bien terminé, comme prévu, ce samedi 18 septembre et pourra être vu jusqu’au dimanche 3 octobre seulement. Des centaines de journalistes sont attendus ce week-end.
14 millions
Mille personnes ont participé à la réalisation de l'œuvre qui aura coûté au total 14 millions d'euros. Elle est entièrement autofinancée par l'Estate Christo et Jeanne-Claude (sa succession) grâce à la vente d'oeuvres originales de Christo : collages et dessins préparatoires, maquettes, oeuvres des années cinquante-soixante et lithographies. Comme tous les projets de Christo et son épouse Jeanne-Claude (décédée en 2009), il n'a bénéficié d'aucun autre financement public ou privé.
Jeudi, sur les faces de l’Arc non encore recouvertes, on voyait les dispositifs complexes de contre-poids, de lests, de poulies, de planchers de bois, de protections du monument. Des armatures de métal protègent ses sculptures, ses angles et ses coins. Au total, il y aura 25000 mètres carrés de tissu recyclable en polypropylène argent bleuté recouvert d’une pulvérisation d’aluminium brillant. Détail étonnant: il suffit d’un seul kilo d’aluminium pulvérisé pour recouvrir les 25000 mètres carrés de matière brillante. Les tissus ont été produits par une entreprise allemande de Lübeck et les maîtres d’oeuvre du chantier sont les Charpentiers de Paris.

Tissu souvenir
L’Arc de Triomphe commandé par Napoléon en 1806 et terminé par Louis-Philippe en 1836, mesure 50 m de haut, 45 m de long et 22 m de large. L’accès se fait depuis les Champs-Elysées par un tunnel spécial.
150 ouvriers sont ce jeudi sur le chantier. Dès le début, ils avaient recouvert toutes les sculptures d’une protection en acier (312 tonnes d’acier au total sont utilisées). L’Arc une fois entièrement recouvert, des “cordistes » devaient serrer le tout avec 3 kilomètres de corde recyclable en polypropylène rouge.
L’aspect extérieur sera différent selon la lumière incidente, et selon l’ensoleillement, prenant des couleurs plus argentées, ou devenant bleuté au fur et à mesure que l’aluminium disparaîtra et laissera apparaître la face bleue des bâches.
Durant toute la durée des travaux et pendant l’exposition, la Flamme du souvenir des soldats français morts au combat restera visible.
Si on pourra bien sûr voir gratuitement depuis la place, l’oeuvre achevée, on pourra encore et toujours accéder sur la terrasse couverte et fouler les bâches de Christo, jouir de la vue, moyennant un ticket et même recevoir un bout du tissu en souvenir et suivre une vidéo montrant les grandes oeuvres précédentes de Christo ! Plus de 300 médiateurs seront présents autours de la place de l’Étoile et sur les Champs Élysées pour répondre aux questions des visiteurs.
Les trois week-ends (18-19 septembre, 25-26 septembre et 2 et 3 octobre) la circulation sera arrêtée sur le rond-point qui deviendra piétonnier.

La mastaba géante
C'est Vladimir Yavachev, le neveu de Christo, qui a orchestré les opérations. Il avait promis à son oncle, qui tenait fortement au projet, qu'il serait réalisé, en partenariat avec le Centre des monuments nationaux (CMN) et en coordination avec la Ville de Paris.
Christo avait rêvé de ce projet « triomphal » dès 1961. Cette année là, trois ans après s'être rencontrés à Paris, Christo et Jeanne-Claude commencent à concevoir des œuvres temporaires dans l'espace public. Ils restent à Paris jusqu’en 1964 avant de s’installer à New York. L’un de leurs projets était d'empaqueter un édifice public.
À son arrivée à Paris, Christo loue une chambre de bonne à proximité de l'Arc de triomphe et le monument ne cessera de l'attirer depuis. En 1962, il réalise un photomontage de l'Arc de triomphe empaqueté vu depuis l'avenue Foch et en 1988, un collage. Il décida de réactiver ce projet en 2017. C’est donc 60 ans après la première idée que l’empaquetage est finalement concrétisé, malgré la mort de Christo le 31 mai 2020 et malgré la pandémie.
C'est aussi un retour aux sources. L'Arc de Triomphe Wrapped est réalisé 36 ans après l'empaquetage du Pont Neuf. L'Arc de triomphe devrait être sa dernière grande oeuvre. A moins que la gigantesque mastaba qu'il rêvait de construire dans le désert d'Abu Dhabi se fasse: une sculpture composée de 410000 barils de pétrole vides formant une mosaïque comme dans l'architecture islamique. Projet pharaonique, véritable serpent de mer depuis des décennies mais les discussions sont toujours en cours, dit-on. La mastaba aurait 150 m de haut « plus élevée que la pyramide de Khéops ». La structure d'acier pèserait 50000 tonnes, quatre fois le volume de la tour Eiffel. Ce serait, si cela se fait bien, non seulement la dernière mais aussi la seule installation pérenne de Christo.
Pour l’Arc de Triomphe, tout était prêt lors de la mort de Christo. Avec son enthousiasme qui soulevait les montagnes et qui bousculait nos monuments, il n’avait peur de rien. Sa coiffure léonine devenue argentée lui donnait l’air d’un prophète du beau, de l’oeuvre d’art pour tous dont on se souviendrait.
Les oeuvres de Christo étaient toujours immenses, sur l’espace public, hors du huis clos des musées. Elles étaient aussi éphémères. Il fallait des années de préparations et de tractations pour arriver à une oeuvre qui ne resterait que quinze jours.

Le précédent du Pont-Neuf
L’empaquetage (Christo voulait qu’on emploie ce mot plutôt que celui d’emballage), fait du monument ou de l’objet, une sculpture.
Celui du Pont Neuf à Paris résultait d'une idée née déjà en 1975. Comme dans tous ses projets, il s'agissait de « rendre plus visible ce qu'on cache», de révéler autrement l'architecture, la forme. De renouveler notre rapport au volume d'un bâtiment, à notre déambulation. De faire une oeuvre de pure beauté, étrange, sans autre signification que d'être là. « L'oeuvre d'art, c'est ce qui ne sert à rien», disait-il. Libre à chacun de vivre cette oeuvre comme il l'entend. Pour lui, seul comptait, la beauté, la surprise, l'émerveillement.
En 1975, Christo et Jeanne-Claude voulaient empaqueter le célèbre Pont-Neuf, le plus ancien pont de Paris, avec de la toile polyamide de couleur grès dorée qui recouvrirait les côtés et les voûtes des douze arches du pont, ses bordures, ses 44 lampadaires, ses trottoirs.
Le travail fut colossal: 41000 m2 de toile, tenue par 13 km de cordes et 12 tonnes de câbles d’acier. Les négociations durèrent dix ans avec les autorités française. Jacques Chirac, maire de Paris, accorda son autorisation en 1982. L’empaquetage ne fut présenté en 1985 que durant 15 jours mais reçut trois millions de visiteurs.
Leur oeuvre la plus célèbre fut l’empaquetage du Reichstag du 23 juin au 7 juillet 1995 qui demanda 24 ans de préparations et de négociations.
Christo et Jeanne-Claude réalisèrent ainsi au total, 22 oeuvres monumentales. Lui se chargeant du dessin et de la conception et, elle, de la réalisation.
Plusieurs livres et expositions ont lieu en parallèle. Le long des berges de la Seine (accès Chatelet) une exposition présente vingt oeuvres emblématiques de Christo jusqu’au 2 octobre. Les éditions Taschen éditeur historique de Christo sortent un livre spécial (20€).

L’Arc de Triomphe empaqueté, Paris, du 18 septembre au 3 octobre. Accès aux espaces intérieurs de 10h à 23 h. Réservation en ligne obligatoire si on veut un billet.